L. LAURAT dans le vide avant de faire entrer en considération l'influence du milieu environnant (air, eau, etc.). Marx avait très certainement l'intention de procéder à l'introduction de ces facteurs exogènes dans son capitalisme pur. Il suffit de comparer le livre III du Capital au livre If'r pour se rendre compte qu'étant parti des phénomènes les plus abstraits, il se rapprochait graduellement des altérations que ceux-ci subissent au contact de la réalité. On lit d'ailleurs tout au début de la préface à sa Critique de l'économie politique (premier jet des premiers chapitres du Capital, 1859) : J'examine le système de l'économie bourgeoise dans l'ordre suivant : Capital, Propriété, Travail salarié ; Etat, Commerce extérieur, Marché mondial. Sous Jes trois premières rubriques, j'étudie les conditions d'existence économiques des trois grandes classes en lesquelles se divise la société bourgeoise moderne ; la liaison des trois autres rubriques saute aux yeux. De ce schéma, Marx n'a même pas achevé les trois premières rubriques. Même !'Histoire des doctrines économiques publiée par Kautsky de 1904 à 1910 ne va pas au-delà. Mais ce sont précisément les trois dernières rubriques qui auraient dû permettre de passer par approximations successives de l'abstrait au concret. L'étude des rapports entre l'Etat et l'économie capitaliste ne s'imposait de toute évidence que très relativement à une époque où l'Etat ne jouait dans l'économie que le rôle modeste du « veilleur de nuit » ; ce n'est que bien plus tard, à partir de 1910, que Hilferding, Kautsky, Vanderv_elde, Renner (surtout ce dernier), et même Boukharine, s'en préoccupèrent, l'Etat étant devenu un facteur économique de première importance. Les deux autres points : commerce extérieur et marché mondial, appelaient à n'en pas douter des analyses nouvelles introduisant dans le capitalisme pur des élé- .ments extra-capitalistes toujours plus nombreux, d'abord des éléments précapitalistes, tandis que l'évolution du capitalisme dans ses pays d'origine donnera de plus en plus naissance à des éléments transcapitalistes ( syndicats, coopératives, mutuelles, banques ouvrières, branches nationalisées ou communalisées). Le capitalisme que Marx expose dans son Capital, et dans ses écrits posthumes publiés par Kautsky n'a donc jamais fonctionné tel quel. Ses mouvements autonomes d'expansion et de contraction ont toujours subi des influences exogènes qui les altéraient, soit en les accélérant, soit en les freinant. Il est d'autant plus étonnant qu'en dépit de ces facteurs déréglants, l'évolution du capitalisme se soit conformée Biblioteca Gino Bianco 149 dans l'ensemble aux lois et aux tendances énoncées par Marx. Le processus de concentration et de centralisation s'est poursuivi avec une vigueur que personne ne niera plus aujourd'hui ; les objections faites par Bernstein il y a soixante-dix ans ne portaient que sur la survivance, réelle d'ailleurs, d'un grand nombre de petites et moyennes entreprises, mais ce qui échappait à Bernstein (qui connaissait pourtant le livre III du Capital aussi bien que son antagoniste Kautsky), c'était le rôle moteur du crédit, indiqué par Marx, dans cette centralisation. Or cette dernière s'est effectuée par la suite bien davantage grâce au crédit qu'en vertu de l'anéantissement des petits par les gros. La surpopulation relative se traduisit dès la fin de la guerre de 1914-18 par un chômage permanent dans tous les pays capitalistes, même aux Etats-Unis où l'on ne pouvait guère incriminer les conséquences du conflit. La baisse du salaire relatif est attestée par toutes les statistiques de l'époque - il y en eut enfin, alors que le pauvre Marx devait se contenter 4e chiffres rares, parcellaires et vraiment minables ... La baisse du taux de profit cessa d'être « tendancielle » à dater du milieu des années 20 pour devenir une poignante réalité et pour déboucher, à partir de 1929-30, sur la grande crise mondiale de surproduction qui, à peine et insuffisamment résorbée, fit .place à une nouvelle crfae dès 1938. Devant des faits aussi patents, attestés en outre par d'innombrables chiffres, aucune raison ne modifie l'appréciation que nous portions sur la théorie économique de Marx il y a trente ou quarante ans. Son analyse du capitalisme de son époque était correcte, elle l'est même restée un peu au-delà du premier tiers du xxc siècle. La crise mondiale des années 30 a sonné le glas de la formation économique et sociale que l'on appelait le capitalisme. Le capital était en désarroi, incapable de fonctionner, incapable de réaliser des profits ; la plus-value anéantie par la baisse des prix ; le capital constant déprécié et condamné à la paralysie ; le capital variable exclu du processus économique, ayant cessé d'être et capital et variable ; l'Etat sollicité par les uns de les sauver de la faillite et par les autres de leur prodiguer des allocations-chômage, alors que lui-même ne disposait plus de rentrées fiscales puisque tous les revenus - salaires et plus-value - s'étaient évanouis. Le capitalisme avait fait son temps. ~lais parmi ceux qui se dressaient devant lui pour le remplacer par un système plus viable, une
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