Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

L. LAURAT la fin du premier tiers du xxe siècle) fut un lamentable chassé-croisé dans les deux camps. La science économique dite bourgeoise, se refusant à admettre l'exploitation des salariés par le capital, rejeta avec horreur la théorie de la valeur-travail de ses ancêtres et embrassa la théorie marginaliste, alors que les leaders du mouvement ouvrier firent du premier livre du Capital leur bible, puisqu'ils y trouvaient la démonstration scientifique de l'exploitation, instrument fondamental pour leur propagande. Mais en avaient-ils vraiment besoin à cette époque ? La misère du prolétariat se suffisait alors à elle-même sans grands discours, et à la rigueur, les enquêtes de Vuillermé 3 pouvaient faire le reste. Les controverses sur le Capital s'égarèrent ainsi dès le début sur la théorie de la valeur, dont on fit à tort, puisqu'elle n'était pas de lui, le point central de l'œuvre de Marx. Polémiques absolument vaines : les uns et les autres oubliaient que l'exploitation de l'homme par l'homme pouvait être démontrée par des théories autres que celle de la valeur-travail, ce à quoi s'attacha le professeur italien Antonio Graziadei (socialiste d'abord, communiste ensuite) depuis 1894 4 • S'acharnant à démontrer l'exploitation des ouvriers par le capital, les lecteurs du livre Ier se complaisaient en outre à comparer quantitativement la plus-value au salaire, tout en négligeant la division de la plus-value en fraction consommée et fraction accumulée. Bien que Marx en traite déjà dans le premier livre, l'importance de cette division n'est systématiquement exposée que dans les livres II et III (conditions d'équilibre, emploi du fonds d'accumulation, crises). On s'indignait ainsi à bon marché du luxe de la consommation capitaliste en face de la misère ouvrière, alors que le vrai problème était celui de l'utilisation de la fraction accumulée de la plus-value, clé de la plupart des contradictions du système. .. • • CES CONTROVERSEsaSns issue ont détourné l'attention de bien des marxistes du contenu essentiel de l'ouvrage. Celui-ci expose le mécanisme de l'économie capitaliste, les lois qui la régissent et les tendances inhérentes à son fonctionnement. Dans les structures capitalistes du - ---- 3. Bien que datant quelque peu, eUes demeuraient alor1 d'actualité dan• bien des professions. 4. Sa théorie du • prix et ,mrprix •• expo1~e en une quarantaine de volumes s'échelonnant sur un demi-siècle. Biblioteca Gino Bianco 147 xrxe siècle, le progrès technique, imposé à l'économie par l'impératif de la concurrence, fait qu'un capital d'une grandeur donnée devient de moins en moins apte à embaucher de la force de· travail puisqu'une fraction croissante est appelée à se convertir en outillage et en matières premières (capital constant), et une fraction décroissante en salaire (capital variable). D'où la loi de la « surpopulation relative » : pour éviter un chômage de plus en plus permanent et massif, le capital total devait s'accroître bien plus fortement que la population à la recherche d'un emploi. Une autre conséquence du progrès technique était le fait que les moyens d'existence des salariés - valeur de la force de travail - peuvent être reproduits en un laps de temps de plus en plus réduit, de sorte que, la durée de travail restant la même, la part de la plusvalue augmente alors que celle du salaire diminue : c'est la loi de l'accroissement de la plusvalue relative ou de la baisse du salaire relatif. Cette loi est d'ailleurs sujette à la réaction des salariés qui luttent pour la diminution de la durée du travail, ce qui provoque comme réaction patronale l'intensification du travail, la compression de ce que Marx appelle « les pores improductifs de la journée de travail », de sorte qu'une journée de dix heures finit par contenir autant de valeur que la journée de douze heures précédemment. Troisième et dernière conséquence du progrès technique : puisqu'une fraction décroissante d'un capital donné se convertit en maind'œuvre et que le travail est seul créateur de valeur, la plus-value diminue (malgré la hausse du taux de la plus-value ou de la plus-value relative) par rapport au capital total engagé dans la production. Là encore Marx énumère les tendances contraires. C'est du jeu complexe de ces impulsions et contre-impulsions qu'il déduit les principales contradictions du système capitaliste ; il le fait au chapitre xv du livre III/1, que l'on a souvent appelé « le chapitre des crises », bien que Marx n'ait jamais traité à part et systématiquement du phénomène des crises. C'est la principale raison pour laquelle il y eut tant de controverses entre ses disciples sur le problème des crises périodiques. En s'épanouissant, ces contradictions finiront, ,selon Marx, par acculer le capitalisme à une .situation sans issue, laquelle obligera les travailleurs, qui auront eu le temps de se grouper, .de s'organiser et de s'éduquer, à substituer à l'ancien ordre défaillant un ordre nouveau,

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