110 commencent à s'apercevoir .qu'il n'est pas du tout si facile de nous faire la guerre qu'on avait d'abord voulu se l'imaginer. Une paix sincère serait ce qu'il y aurait de mieux pour tout le monde. Pour nous, nous nous déclarons absolument prêts à transiger et même, dans ce but, à nous rendre s'il le faut à l'île des Princes ! Ah ! Ah ! Quoique, disons-le franchement, il y ait là vraiment une drôle d'idée. L'île des Princes ! Ah ! Ah ! Pourquoi l'île des Princes ? Mais il n'y a personne à l'île des Princes ! M. Lénine fait encore entendre un éclat de rire guttural, puis il continue : - Une démonstration caractéristique de nos intentions, c'est la concession que nous avons accordée à une société internationale, concernant la construction du Veliki Severni Pout, c'est-à-dire du grand chemin de fer du Nord. En avez-vous entendu parler ? Il s'agit de cette voie ferrée ·d'environ 3.000 verstes qui, de Soroka, station qui se trouve vers le milieu de la ligne de Pétrograd à Mourmansk, près du golfe d'Onéga, doit, par Kotlass, franchir l'Oural et aboutir au confluent de l'Obi et de l'Irtich. Des forêts immenses et véritablement vierges, des forêts dont l'étendue fabuleuse atteint huit millions d'hectares, et toutes sortes de mines inexploitées tomberont dans le domaine de la compagnie constructrice. Eh bien, mais puisque nous ne sommes pas en état de mettre nous-mêmes en valeur tout ce nouveau monde, quel mal y aurait-il donc, en définitive, à ce que· nous en chargions une compagnie étrangère ? Il s'agit d'une propriété de l'Etat cédée pour un certain laps, probablement quatre-vingts années, et avec le droit de rachat. Nous n'exigerons de la société rien de. draconien. Que les lois du Soviet, comme par exemple l'observation de la journée qe huit heures, sous le contrôle des organisa- \Jtions ouvrières, soient respectées, et cela nous suffira. Evidemment, cette combinaison s'écarte singulièrement du pur communisme; tout cela ne correspond pas à notre idéal, et il faut dire que .cette question du Veliki Severni Pout a soulevé de très vives controverses dans nos journaux du Soviet. Mais en dernier ressort, nous avons décidé d'accepter ce. que l'époque de transition que nous traversons rend néces- . sa1re. - Croyez-vous donc, dis-je, qu'après les périls courus ici par les capitaux étrangers, périls qui ne semblent pas écartés, et dont on peut craindre d'un instant à l'autre l'aggravation, il se trouverait des financiers assez audacieux pour venir engloutir en Russie de nouveaux trésors ? Ils ne commenceraient, sans doute, un tel travail que sous la protection d'une Bibli·o·teca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL force armée, venue de leur propre pays. ConsentiriCZ.: vous à une pareille occupation? - Elle serait tout à fait superflue, car le gouvernement bolchéviste observerait fidèlement ce qu'il aurait signé, mais tout point de vue peut être envisagé. J'attirai alors mon interlocuteur vers la discussion des questions générales. Il dit : - - L'avenir du monde? Je ne suis pas pro- - phète. Mais ce qui est sûr, c'est que l'Etat des capitalistes et du free trade, comme par exemple l'était naguère l'Angleterre, cet Etat se meurt. L'Etat futur monopolisera tout, achè- / tera tout, vendra tout. L'évolution du monde le conduit inévitablement vers le socialisme, à travers diverses formes transitoires, diverses variantes, diverses phases d'une ·évolution qui tend vers un but unique. Qui eût cru, il y a quelques années, que la nationalisation des chemins de fer, en Amérique, fût possible? Et pourtant c'est un fait accompli, de même qu'on a vu cette République acheter tout le - blé dti pays pour en faire l'usage le plus favorable à l'Etat. La Ligue des Nations sera extrêmement difficile à constituer, mais, de ces tâtonnements, une forme nouvelle de la _ civilisation finira par sortir. L'expérience communiste entreprise chez nous n'a pas encore une valeur décisive, c'est clair. La Russie est un peuple à part, dont l'état de culture intellectuelle ne correspond point du tout à la culture occidentale. ,La question de la· terre pose ici des problèmes qu'on ignore chez v~us. Songez donc que la petite propriété rurale n'a guère été créée qu'il y a quelques années par Stolypine. En Russie, dès que l'archaïque gQuvernement autocratique s'est effondré, il n'y avait aucune force qui pût s'opposer à l'explosion de la révolution sociale. En Allemagne et en France, où les armatures anciennes sont ·énormément plus solides qu'elles ne l'étaient chez nous, une révolution est beaucoup plus difficile à commencer que ce ne fut _lecas en Russie. Mais en revanche, si un régime socialiste s'établissait en France ou en Allemagne, il. serait bien plus facile que chez nous de le, perpétuer dans ces pays. C'est que le socialisme trouverait spontanément en Occident des cad~es, des capacités, des organismes, toutes sortes d'auxiliaires intellectuels ·et matériels qui nous font défaut ici. Jusqu'à présent, le caractère de la révolution allemande n'apparaît pas clairement. Je ne peux pas en~ore me prononcer, il faut ·attendre. Mais aussi, entre les conditions sociales•de l'Allemagne et celles de la Russie, antérieurement à la· chute de la
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