Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

102 ouvrages est composée sa bibliothèque. La lettre de Novikov ne renferme, au fond, rien de palpitant et, cependant, je la trouve symptomatique. Je ne sais pas pourquoi, mais ce nouveau type de moujik me fait un -peu peur. Oh ! je ne reproche rien à Novikov, c'est peut-être précisément pour cela qu'il me fait peur. Alors, la Russie de l'avenir sera composée de ivlichel Novikov? Une machine à coudre, un gramophone ... J'oublie la bibliothèque. Après tout, Michel Novikov est peut-être un sage, d'autant plus que sa tempérance et sa bonne conduite datent de bien avant la suppression de l'alcoolisme. Les résultats matériels et moraux de cette grande révolution pacifique sont déjà merveilleux 1 . Au début, la transition était assez pénible. On constatait des suicides. Que voulez-vous que devienne un pauvre ivrogne qui a bu toute sa vie, pour qui l'eau-de-vie était la seule joie, la seule raison d'être, surtout s'il est isolé, sans guide moral ? Ivan travaillait peu, il ne travaillait que pour boire. L'eau-de-vie supprimée, il est complètement désorienté, la vie ne lui dit plus rien. Il est recueilli par un ami - portier d'église, - l'aide de son mieux, sans cesser de se plaindre de sa nostalgie alcoolique. L'ami le persuade de chercher l'oubli dans la prière, d'aller plus souvent à l'église, non pour balayer et sonner, mais pour prier. - Imbécile, si je croyais en Dieu, serais-je ivrogne ? Dispute théologique, voies de fait. Ivan quitte son ami, se procure un demi-litre d'alcool à brûler, boit d'un seul coup et ... se pend. C'est un fait divers réel et banal. Les sociétés coopératives dont je parle plus haut - ont joué et jouent un rôle bienfaisant dans le passage de l'ivrognerie à outrance, organisée et soutenue par l'Etat, à la tempérance absolue, sans transition. Je puis dire que l'influence des coopératives se manifeste davantage que celle du pope, surtout dans les villages. LE POPE n'est qu'un paysan à peine dégrossi, on lui apprend peu de chose dans son séminaire, il n'est pas plus riche que le moujik, payé qu'il est presque exclusivement par ses paroissiens. Il a la jouissance de la petite pro1. L'interdiction de la vente de l'alcool a économisé, en 1915-1(), un milliard de roubles à l'épargne nationale. L'affluence des fonds aux caisses d'épargne augmente de plus ~n plus, • ,BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL priété ·de la cure, environ 30 hectares, si je ne me trompe, mais il les partage avec le chantre. A l'époque de la moisson, le pope reçoit de ch4que famille de paysans une mesure. de seigle de la valeur d'un rouble. Un baptême lui rapporte 40 kopeks, un mariage de 4 à 8 roubles, un enterrement de 2 à 4 roubles. Aux grandes fêtes et aux fêtes locales, il fait une tournée de maisons, y porte sa bénédiction et reçoit une vingtaine de kopeks et par-ci par-là... un petit verre, quand ce dernier existait encore. De sorte que le pope rentrait ces jours-là un peu joyeux. Le prestige et l'influence du pope sont généralement médiocres. C'est le haut clerg<f1 _qui exerce une grande_ influence dans le domaine politique ; encore faut-il distinguer le clergé pour ainsi dire pratiquant du clergé du synode, clergé administratif. Il y a lutte entre ces deux branches de l'Eglise. Vers la fin de l'année dernière, à une séance du zemstvo, l'évêque d'Oufa .a prononcé - un discours assez retentissant, presque révolutionnaire, dont les échos ne se sont pas encore tus. Le pasteur moderniste regrette que les procureurs du saint-synode soient de véritables ministres, traitant les archevêques comme des gouverneurs. « Depuis longtemps la bureaucratie ploie le clergé sous le joug et le clergé tombe de plus en plus dans un abaissement complet. Encore sJ le gouvernement avait des principes en politique religieuse, mais il n'a ni · doctrine ni plan. La foi s'évapore et la société se décompose. C'est de la Douma d'Etat que nous attendons notre salut ... » Pauvre Douma! · Elle qui aurait tant à faire, on la laisse à peine parler. Le clergé n'a pas souffert de la guerre. Ce sont les instituteurs et leurs familles qui en souffrent le plus. On ne saurait jamais assez dire le labeur, le courage, l'abnégation, les sacrific;esde l'instituteur russe. En Russie, la tâche de l'éducateur du peuple est une véritable mission et l'instituteur l'exerce dans des circonstances déplorables. $uspecté de ·tous, surveillé, misérablement payé, surtout dans les écoles paroissiales, qu'il ne faut pas confondre avec celles des zemstvos, nul plus que lui n'est méconnu et nul plus que lui n'est utile à la société. Maintenant il est soldat et sa famille est dans,un tel dénuement que la Société pédagogique Ouchinski (célèbre pédagogue) a demandé à ses adhérents la 360e partie de leur. traitement pour venir en aide aux familles des instituteurs mobilisés, invalides, réfugiés, etc. Je ne sais pas ce que la guerre nous apportera, mais elle fait bien des victimes. - ' • • ' • t • • • • • • • ' • • • • • • t • ' • • t • •

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