, S. HOOK domaines, mais il est nécessaire de faire la distinction entre une stratégie politique efficace et la vérité historique. La situation est à peu près la suivante : une sorte de revision de Marx, entreprise initialement à des fins politiques, est en train d'être modifiée par une autre revision. La première revision, entreprise par Lénine, avait atteint son apogée sous Staline en tant que système du marxisme-léninis- .me. La deuxième revision ne peut, sans risques pour la sécurité politique, annuler. l'opération chirurgicale désastreuse effectuée sur le corps de la pensée de Marx, c'est-à-dire la transformation .de la notion de démocratie socialiste en une dictature du parti communiste sur le prolétariat et tout autre groupe social. Au, lieu de cela;. on revient à ce qui est au fond une sorte d'anarchisme à la Rousseau qui rejette à la fois le capitalisme et la bureaucratie socialiste en faisant valoir que Marx les avait lui-même rejetés. · Le Marx original et non revisé était un humaniste, un rationaliste, un démocrate et un champion de la liberté humaine, et il n'est pas nécessaire de remonter aux inédits de jeunesse pour l'établir. Les œuvres de l'âge mûr sont là pour le prouver. Toutefois, c'était également un déterministe social, un historien et un psychologue social qui considérait tout bonnement comme une niaiserie intellectuelle de prendre l'aliénation et l'autoaliénation comme point de départ d'un changement fondamental de l'ordre social. Une bonne part de ces bavardages, à la mode en particulier parmi les existentialistes de café en Occident, auraient sem- , blé à Marx de la bouillie réchauffée, servie soit à la sauce anarchiste épicée de Max Stirner, soit avec le concentré altruiste de Moses Hess. Ces deux hommes ont été l'objet de ses critiques féroces et souvent injustes. Il y a, bien entendu, certaines expression~ dont Marx use dans ses manuscrits inédits et que l'on trouve également dans son œuvre publiée, particulièrement sur les effets de la division du travail, les bouleversements qu'entraîne l'industrialisation et la prédominance des valeurs commerciales. Tout cela était la monnaie courante de la critique sociale de son époque, qu'elle fût d'inspiration féodale ou socialiste. Le deuxième avènement de Karl Marx est fondé sur l'idée qu'il était convaincu que l'homme possède une nature essentielle de laquelle toutes les sociétés de classes l'ont aliéné sous une forme ou une autre, le rendant étranger à ses semblables et faussant ainsi le caractère du genre humain. Ce n'est apparemment que sous le socialisme, en fait seulement sous le Biblioteca Gino Bianco 93 socialisme démocratique, que l'homme parviendrait à retrouver sa véritable nature. Cette idée, suggérée parmi plusieurs autres notions incompatibles entre elles dans les Manuscrits économico-philosophiques du jeune Marx, est contestable dans ses propres termes. Mais, contestable ou non, elle est en contradiction flagrante avec la pensée du Marx de la maturité. Car il s'ensuivrait que seul le socialisme est conforme à la nature humaine . L'IRONIEen même temps que l'absurdité de cette prétention peuvent être vérifiées par le• fait que Marx a dû, sa vie durant, combattre l'objection, encore entendue aujourd'hui, suivant laquelle le socialisme est contraire à la nature humaine, suivant laquelle la réalisation d'un monde sans guerre, sans exploitation éèonomique et sans injustice sociale est impossible en raison de la manière dont fonctionnent des traits de caractère immuables et naturels à l'homme. C'est pourquoi Marx n'a jamais manqué l'occasion d'attaquer la notion qui attribue à l'homme une nature fixée une fois pour toutes. Pour lui, ce sont deux formes opposées d'absurdité que de prétendre que soit le capitalisme, soit le socialisme, est contraire ou bien répond à la nature inhérente à l'homme. La nature de l'homme, selon Marx, apparaît dans la totalité de ses relations sociales et historiques. En conséquence, ce que nous trouvons dans la matière première biologique n'est pas sa nature humaine, mais sa nature animale, et même cela est une abstraction des modes de comportement culturel. Que nous le déplorions ou non, chaque société où vivent des hommes est compatible avec la nature humaine ou, plus exactement, en est une expression. On peut seulement parler raisonnablement de l'aliénation de l'homme en partant du postulat que l'homme possède une nature originelle d'où il a été aliéné. Opposons ce postulat au reproche fait par Marx à Proudhon, lequel soutenait que la nature de l'homme est essentiellement compétitive : « Monsieur Proudhon ne sait pas que l'ensemble de l'histoire n'est qu'une transformation continue de la nature humaine. » Le débat qui s'est engagé sur l'aliénation à l'intérieur et en dehors des pays communistes révèle l'impossibilité pour toutes les variétés de marxisme de résoudre les questions n1orales, qu'elles soient personnelles ou sociales. L'éthique du n1arxisme a été rudimentaire, implicite et confuse. Son programme fait appel
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