Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

90 parler en réaliste sur ce sujet ne servirait à rien ; nous aurions fini par avoir des mots ... Dans le courant de là journée, nous en vînmes à parler, en passant par l'influence des trotskistes dans le mouvement ouvrier, de l'influence du trotskisme chez les intellectuels. En réalité, il ne s'agissait évidemment pas de l'influence du trotskisme, mais de la personnalité de Trotski et de ses écrits. Trotski sé refusait à l'envisager ainsi, puisque cela ne corresdait ni à la doctrine ni à la convention d'après laquelle, pour s'opposer au culte de la personnalité, on adoptait un autre dogme, le seul permis par la conception trotskiste, à savoir la négation et le rejet de toute personnalité dans la lutte politique. Cette attitude visait notamment l' écrivain Ignazio Silone qui semblait avoir des sympathies pour les idées de Trotski. Je connaissais, et admirais, Fontamara, et me réjouissais que cet écrivain de talent eût rompu avec le stalinisme. Cet acte menait facilement, chez des personnes assez peu douées pour la politique, à une sympathie envers le rival de Staline et ses conceptions. La suite devait prouver que, chez Silone, ce sentiment ne mena pas au trotskisme. Un écrivain dont je n'avais encore rien lu à cette époque, mais dont je savais vaguement quelque chose, me fut recommandé par Trotski, qui disait que c'était un devoir de lire ses romans si je voulais comprendre quelque chose à ce qui se passait en Chine, un des grands problèmes qui divisaient à l'époque Staline et l' « opposition » russe. Cet écrivain était, bien entendu, André Malraux. Trotski attendait, à ce moment-là, beaucoup de cet homme pour son mouvement et il avait en tout cas une grande admiration pour le talent littéraire de Malraux. Son enthousiasme et sa chaleurr---furent tels, et si communicatifs, que rentré à Paris, je :fisimmédiatement l'acquisition des Conquérants et de La Condition humaine, dont je commençai la· lecture dans le train qui me ramenait en Hollande. Je suis toujours resté reconnaissant à Trotski de m'avoir incité à connaître cet écrivain, quoique j'ignore si, en relisant aujourd'hui Malraux - dont je ne puis admirer l'évolution littéraire ·et esthétique ultérieure, sans parler de son évolution politique, - j'en tirerais la même satisfaction. Telles furent mes dernières impressions de Trotski, une admiration pour cet homme de Biblioteca Gino Bianco l ( LE CONTRAT SOCIAL goût, de curiosité intellectuelle et de raffinement, impressions qui contrebalançaient mon aversion envers le dogmatiste et son non-réalisme sur le plan politique. Et il m'était presque impossible de croire qu'une personne comme Trotski ne finirait pas, à la longue, par se libérer du mythe Marx-Lénine pour devenir un esprit libre en matière politique. Après le lunch, je devais faire mon exposé sur la politique hollandaise. Détail amusant - pas sur le moment, - je pensais pouvoir le faire en allemand, mais après avoir prononcé quelques mots, je me. rendis compte que !a plupart des secrétaires, de même que Nathalie Trotski, ne comprenaient pas, ce qui fait que je dus passer, sans la moindre préparation, au français, langue dans laquelle j'avais peu de maîtrise. Aussi lorsque je ne trouvais pas le mot, je le disais en allemand, laissant à Trotski le soin de le traduire. Mon exposé fut donc, tant pour les auditeurs que pour moi-même, un vrai supplice. Mais la bonne volonté étant de rigueur de part et d'autre, il y eut quand même une discussion, et je reçus même des remerciements. L'adieu fut, sinon cordial, du moins amical. Mon parti et moi devrions montrer, à la conférence de Paris, que nous étions des « révolutionnaires, », ce que nous devrions également prouver en Hollande en fusionnant avec le parti de Sneevliet, sermonna Trotski. En tout cas, une correspondance régulière devrait s'établir. Je promis de rapporter tout cela ~ mon parti. Trotski m'accompagna· jusqu'à la porte de sa forteresse, où Van me prit en charge et me conduisit jusqu'au train Royan-Paris. Je m'étais promis de bien réfléchir à cette ren- .contre, mais comme je l'ai déjà dit, je m'endormis aussitôt. Je m'éveillai près de Paris, ) heureux que tout cela fût maintenant du passé, mais content aussi d'avoir fait cette expé- . r1ence. Je devais revoir enèore une fois Trotski, cette fois à Paris. Mais ceci -est une autre histoire. , JACQUESDEKADT,mai 1964. (Traduit du néerlandais)

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