84 TTEINDRE TROTSKI n'était pas facile, A car il tenait secret son lieu de séjour en France, afin de déjouer les recherches des stalinistes et, croyait-il, des réactionnaires français qui en voulaient à sa vie. Toutefois, après un accord écrit stipulant que Trotski accorderait un entretien personnel à un représentant du parti socialiste indépendant hollandais (O.S.P.), ce représentant devait se présenter, à une date assez rapprochée, chez Pierre Naville, à Paris. Ce nom ne me disait pas grand-chose; je me souvenais seulement avoir lu de lui, dans des publications trotskistes, et peut-être ailleurs, de petits articles écrits avec une surabondance de mots compliqués, leur donnant une tournure allemande qui m'avait frappé. Cette façon d'écrire, maintenant que M. Naville est devenu, entretemps, un spécialiste de la « dialectique » marxiste, semble toujours être la sienne. · . Je ne restai pas longtemps dans son bureau, car au bout d'un quart d'heure un jeune homme vint me chercher. C'était un certain Raymond Molinier, homme robuste, actif, gai, habillé en chauffeur de taxi parisien, et physiquement l'opposé de Naville. Qu'il fût, dans les divers groupes trotskistes français, également l'opposé et l'adversaire de Naville, je l'ignorais encore à ce moment-là, car nous, ceux de l'O.S.P., nous étions en dehors des organisations trotskistes. Pour la Hollande, seul le parti créé par Sneevliet après sa rupture avec le communisme officiel, le parti socialiste révolutionnaire (R.S.P.) - qu'on aurait dû appeler « parti syndicaliste » puisque la majeure partie de ses membres provenaient des milieux syndicaux, - faisait figure d' organisation officielle du trotskisme. 1 Ma visite à Trotski avait pour but d'envisager une collaboration éventuelle entre divers groupes et partis qui, comme l'O.S.P., étaient d'origine social-démocrate, mais se trouvaient hors de la IP Internationale. C'était alors Je cas du parti le plus connu, l'Independent Labour Party de Grande-Bretagne, de l'important parti ouvrier norvégien et des groupes trotskistes. A cet effet, une conférence serait organisée en août 1933, à Paris, pour examiner l'éventualité d'une collaboration entre ces différents groupes et .la création possible d'une Internationale située entre celle de la social-démocratie et celle du communisme. Voilà donc pourquoi, à la fin de juillet ou au début· d'août 1933, je me rendais chez Trotski. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Raymond Molinier me fit traverser Paris, virant tantôt à gauche, tantôt à droite, revenant sur ses pas pour prendre ensuite la direction ~ initiale, non pour me désorienter, mais pour semer d'éventuels suiveurs stalinistes. Il me débarqua sur une petite place tranquille, près d'une fontaine, après m'avoir donné le mot de passe avec lequel une personne devrait s'adresser à moi. Cette personne m'apparut sous la forme de Léon Sédov, le :fils_aîné de Trotski. Il me remit un ticket de train pour Royan, à l'embouchure de la Gironde, où je dëvais trouver, selon lui, un grand jeune homme blond, d'origine hollandaise, mais qui avait toujours vécu en France, et qui ne parlait plus le hollandais_. « Il s'appelle Jean Van Heijenoort, mais nous l'appelons toujours V an. » Ce V an se chargerait de me conduire plus loin. En. effet, après avoir débarqué à Royan et ayant laissé s'écouler le flot des_voyageurs, je vis un grand jeune homme d'aspect sympathique, sportif, et que je soupçonnais être M. Van. C'était bien lui. Une voiture nous conduisit alors rapidement hors de Royan, en suivant la Gironde en direction de la mer, puis, après Saint-Palais, s'engagea sur une presqu'île au bout de laquelle, près de la limite de la Gironde et de la mer, se dressait une maison cossue, mais sale, et entourée d'un mur. Y entrer nous prit quelque temps, non pas dans la maison, mais dans le jardin, la porte étant sévèrement gardée par les jeunes gens du secrétariat de Trotski qui n'ouvrire1:1tqu'après ayoir identifié la voiture et ses passagers. Et nous voici donc dans le jardin, entourés de fils barbelés et de chiens aboyants. Si l'idée m'était venue de prononcer un petit discours pour saluer Trotski, cela m'eût été impossible, tant les chiens faisaient de ·bruit. Mais Trotski, paraissant avoir dépassé le stade de ,ce rite assez conventionnel en usage à cette époque, me mit tout de suite à l'aise, car ayant descendu rapidement l'escalier, il vint vers moi, me serra la main et me remercia, avec un charmant sourire, de ma visite. A mon tour, je lui dis alors, en français, ma joie de faire personnellement sa connaissance, lui disant qur. mon parti attendait beaucoup d'une collaborat1on avec lui. Tout c,ela était vrai, quoique encore assez conventionnel et inspiré par une sorte de ·devoir. Cependant, ayant tout lu de ce que Trotski ~vait fait paraître dans la presse en Europe occidentale, je le considérais, bien que ,F
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