Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

80 que les menchéviks et les s.-r., qui s'étaient montrés les plus actifs 33 , en venaient à conclure que la défaite était due au caractère trop extrémiste pris par la révolution et à l'éloignement des masses par rapport à leurs alliés libéraux, Lénine parvenait à une conclusion totalement différente. Dès le mois d'août 190 5, alors que la révolution battait son plein, Lénine affirmait, dans ses Deux tactiques de la social-démocratie dans une révolution démocratique, que la signification essentielle des événements était la « trahison » par les· libéraux bourgeois qui, craignant le prolétariat et les paysans révoltés, avaient secrètement conclu un accord « honteux » avec l'autocratie. Une révolution véritablement « plébéienne », « jacobine », bourgeoise, prétendait Lénine, pouvait être faite et consolidée non par la bourgeoisie, -mais par le prolétariat agissant en étroite alliance avec les paysans. ·D'où le· fameux slogan concernant « une dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et des paysans » 34 • Ainsi les Thèses d'avril de Lénine, encore plus fameuses,. et qui par leur nouveauté heurtèrent tant de gens, y compris les bolchéviks, n'étaient en fait pas si nouvelles. A la vérité, il y avait encore une différence considérable entre Deux tactiques et les Thèses d'avril. En 1905, Lénine avait parlé d'une dictature ouvrière et paysanne dans une révolution bourgeoise. En 1917, il en venait à conclure que, grâce à la « guerre impérialiste » dans laquelle la Russie était « le maillon le plus faible », la Russie et l'Europe pourraient bien être mûres pour une révolution socialiste. Ainsi les deux métamorphoses, celle de Lénine et celle des s.-r., furent engendrées par les expériences de la première révolution russe et par la premiè;e guerre mondiale. Fait remarquable à l'époque, aussi bien les milieux libéraux que les milieux socialistes prêtèrent fort peu d'attention à la métamorphose de Lénine. Milioukov, qui suivait très attentivement les mutations idéologiques et politiques dans tous les partis, écrit dans ses Mémoires que, même pendant la période de la Douma, il n'avait eu aucune connaissance de la nouvelle position prise par Lénine, laquelle pourtant le concernait directement, lui et son parti 3r.. Le 33. Les dirigeants du Soviet en 1905 étaient NosarKhroustalev, Trotski et Parvus, tous menchéviks; les chefs des mutins dans les forces armées et la flotte étaient en général des s.-r. 34. V. I. Lénine : Œuvres choisies (en russe), Moscou, vol. I, pp. 469-84. 35. P. N. Milioukov : Souvenirs, 1859-1917 (en russe), vol. I, pp. 336-37. BrbHoteca Gino Bianco· -., LE CONTRAT SOCIAL fait que Lénine avait pratiquement rejeté la démocratie pour prôner la dictature n'inquiétait apparemment pas les menchéviks qui, un an après la parution des Deux tactiques, estimaient possible de former avec Lénine un parti unifié. Il est cependant très surprenant que les idées de Lénine aient é_tépeu remarquées, comprises et assimilées par son propre parti, cela non seulement par les bolchéviks du rang, mais par les cadres dirigeants eux-mêmes. En fait, avant l'arrivée de Lénine en avril, les bolchéviks, conduits par Kamenev et Staline, étaient enclins à soutenir le Gouvernement provisoire et sa politique de défense nationale, allant même jusqu'à envisager la possibilité d'une réunification avec les menchéviks. Une solution était-elle possible ? LE BLOCs.-R.-MENCHÉVIqKu,i occupait une position dominante dans les soviets et aurait pu facilement prendre les rênes du gouvernement, était-il à même de résoudre le problème de la guerre et de la paix, de la terre et du régime politique ? Bref, ce bloc était-il à même de prévenir la victoire bolchéviste ? Ce qui importait avant tout, c'était la question de la guerre et de la paix, qui divisait âprement les différents partis entre eux et semait la zizanie à l'intérieur des partis eux-mêmes. En raison de ces âpres divisions, .il est même ·difficile de parler de partis en général et du parti s.-r. en particulier comme _decorps homogènes unis par un programme commun et une tactique commune. En effet, à mesure que la révolution s'approfondissait sans qu'aucune perspective de paix n'apparaisse, le parti s.-r. était pratiquement divisé en piusieurs fractions bien organisées : une extrême droite avec la vénérable « grand-mère de la révolution » Brechko-Brechkovskaïa ; une aile droite, fortement profrançaise et défensiste, conduite par Avksentiev et, naturellement, Kérenski ; une extrême gauche proche des bolchéviks - sorte de version russe des « Enragés » de la Révolution française - dont l'état-major comprenait le vétéran populiste Natanson (Bobrov) et la terroriste Maria Spiridonov, a. Malgré ces divisions et ces nombreuses fractions, la 1nasse s.-r. et la majorité de la clientèle électorale (plusieurs millions de voix) suivaient le centre du parti, personnifié par le théoricien V. M. Tchernov et par des vétérans faisant autorité, tels que Gotz et Zenzinov. Si le congrès d'un parti a la moindre signification

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