Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

D. AN/NE en ce qui concernait la conduite de la guerre. Les cadets, qui avaient acquis une ·grande expérience à la Douma d'Empire, dans les zemstvo, l'industrie et toutes sortes d'organismes légaux et paralégaux, apparaissaient aux s.-r. comme « ministrables », donc absolument indispensables. Il ne faut pas oublier que, pour plusieurs raisons (la loi électorale, le boycottage pratiqué par des partis de gauche illégaux), le parti cadet était apparu à la Douma comme la formation la plus active et la plus populaire, comme un parti progressiste et même « de gauche ». En effet, ses leaders luttaient avec courage non seulement pour les droits politiques et civils, et contre la discrimination entre les diverses nationalités, mais également, dans une certaine mesure, pour la réforme agraire. Leur réputation comme champions de 4i « liberté du peuple » fut particulièrement rehaussée lorsque les chefs dénoncèrent fort habilement l'incapacité du régime tsariste pen- _dant la guerre. L'idée d'une collaboration avec des pers.onnages aussi respectés que Milioukov, Chingarev, Vinaver, Maklakov, Struve ou Roditchev, semblait donc parfaitement acceptable aux défensistes s.-r. Certes, la situation se modifia au cours de la révolution. Avec l'apparition légale des partis de gauche, le parti cadet, naguère formation de gauche, devenait un parti de droite qui, en raison de l'éclipse des autres groupes de droite, devenait le point de ralliement de la Russie possédante, conservatrice et « réactionnaire ». C'est pourquoi la métamorphose de la direction s.-r. semble avoir été le plus important facteur à déterminer la politique de coalition et, partant, la chute du régime de Février. Ni la théorie menchéviste du caractère bourgeois de la révolution, ni même le charme personnel de Tsérételi n'auraient pu, sans le soutien des s.-r., réaliser la coalition. Les menchéviks seuls étant trop faibles comme partenaires, la coalition n'eut de sens que lorsque le parti s.-r. lui apporta son . appui. Métamorphose de Lénine LA CHUTE du régime de Février est cependant marquée par une autre métamorphose qui, née des mêmes sources que celle des s.-r., a engendré des conceptions et des résultats opposés. Nous voulons parler de la métamorphose de Lénine et du bolchévisme. A la vérité, elle s'était produite douze ans avant la deuxième révolution. Cependant, hors du cercle étroit des dirigeants bolchévistes, on ne l'a remarquée et comprise qu'en 1917. Biblioteca Gino Bianco 79 De même que pour les s.-r. et les menchéviks, le problème-clé dans la stratégie et la tactique politiques des bolchéviks était l'attitude envers la bourgeoisie et le parti cadet. En tant que partie intégrante de la social-démocratie marxiste, le bolchévisme souscrivait officiellement au concept traditionnel du caractère bourgeois-libéral de la révolution russe à venir. Tous les social-démocrates professaient que la Russie arriérée n'était pas mûre pour le socialisme et qu'une révolution bourgeoisedémocratique ouvrirait la voie à un développement du capitalisme à l'européenne. Il en découlait logiquement que l'allié naturel de la social-démocratie devait être la bourgeoisie et que les rênes du gouvernement reviendraient, après la chute du tsarisme, au parti cadet qui était censé exprimer les intérêts des classes possédantes. Une étude du bolchévisme à ses débuts ferait cependant apparaître que cette position était fort ambiguë. En effet, dès 1899, coinmentant un article de P. B. Axelrod qui prônait l'unité d'action avec l'opposition libérale, Lénine écrivait dans une lettre privée à Potressov : « Dans mon esprit, " utîlisation '' est un terme beaucoup plus précis et approprié que soutien et unité d'action. Cette dernière implique que les deux alliés sont égaux, or les libéraux devraient prendre un strapontin, parfois en grinçant des dents ... Avec leur couardise et leur désunion, ils ne méritent pas d'être traités comme des égaux 32 • » Aidé par Plékhanov, Lénine travailla constamment ce sujet dans les années suivantes. Alors que, théoriquement, on ne contestait pas le caractère bourgeois-libéral de la révolution future, on affirmait à présent. en raison de la « faiblesse » et de la « couardise » de la bourgeoisie. que la direction politique de la révolution bourgeoise n'incomberait pas à la bourgeoisie, mais au prolétariat. En raison des conditions particulières à la Russie, le prolétariat aurait à accomplir ~ne double tâche : d'abord, renverser l'autocratie et établir un ordre démocratique, puis se battre pour un ordre socialiste. De nature plus ou moins théorique tant que les partis socialistes demeuraient illégaux, le problème de la collaboration avec les libéraux prit une grande importance dans la révolution de 1905. Comme ce fut le cas pour les s.-r. et les menchéviks, cette révolution, son expé- .rience et ses leçons devaient être également décisives pour les bolchéviks. Cependant alors 32. F. I. Dnn : Origi11edu bolchévisme (en russe), New York 1946, p. 321.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==