76 ·Quoique, en soi,·, d'ordre plutôt théorique, çette conception détermina les attitudes politiques du bloc s.-r.-menchévik et fit de Tsérételi le principal inspirateur et tacticien de toutes les coalitions 21 • La coalition : problème-clé AINSI les idées politiques et les interprétations des vedettes du régime de Février semblent prouver que la controverse centrale concernait l'attitude envers une coalition des partis bourgeois avec les socialistes modérés. En principe, il y eut, au cours de ces mois, trois possibilités : un gouvernement homogène composé de représentants des classes possédantes (solution préconisée par Milioukov) ; un gouvernement homogène composé de représentants des partis socialistes ou « soviétiques » (solution prônée par des minorités dans les partis· socialistes et officiellement aussi par les bolchéviks) 22 ; un gouvernement de coalition de toutes les forces « vitales », « démocratiques » ou « nationales » englobant à la fois les classes possédantes progressistes et le noyau de la démocratie socialiste ou soviétique (solution qui fut, en fait, adoptée pendant cette période): On peut difficilement chercher querelle à Kérenski, l'artisan principal de la coalition, qui soutenait que cette méthode de gouvernement, tout en étant la plus difficile, est aussi la plus démocratique. En principe et dans des conditions normales, il aurait eu probablement raison. Le problème, cependant, est de savoir si la coalition est une solution adéquate dans une période qui réclame des choix révolutionnaires parfaitement clairs et non des résolutions « nègre blanc » qui satisfont tout le monde en théorie, mais persoqne en pratique. Alors qu'ils. obtenaient des résultats souvent impressionnants là où la discorde entre partenaires n'était pas vive, les quatre gouvernements provisoires successifs furent incapables de résoudre des guestions vitales et très• controversées telles que la paix, la terre et l'Assemblée constituante. Des décisions ont bien été prises, mais leur caractère imprécis permettait à chacun de les interpréter à sa manière. Pourquoi cette coalition ? La question ne se posait pas spécialement pour les. premiers jours, les premières semaines, ou même les premiers 21. Tsérételi : op. cit., vol. Il, pp. 401-17. 22. Les objectifs des bolchéviks étaient d'une nature beaucoup plus complexe et ne peuvent guère s'expliquer par la formule ambiguë d'un gotlvernement • soviétique & ou • socialiste •. BibliotecaGino Bian.co -., \ . . ' LE CONTRAT SOCIAL mois de la révolution. L'incertitude de la situation rendait alors la coalition indispen·sable. Tous les récits en témoignent : tant les .possédants groupés autour de la Douma que les• socialistes qui organisèrent le Soviet, fort pet} assurés de la stabilité du nouveau régime, avaient besoin les uns des autres. Les deux camps ne pouvaient pas méconnaître la possibi-·. · lité que la rév\Jlution soit abattue par des· troupes tsaristes loyales... comme ce fut le cas en 1905. Les rumeurs qui circulaient n'étaient pas sans fondement : le tsar avait effectivement envoyé des troupes à cet effet. Stiéklov et Soukhanov, leaders du Soviet pendant les journées de Mars, ont tous deux confirmé que cette éventualité avait été l'élément majeur qui détermina le Soviet à accepter un gouvernement provisoire bourgeois. « 'La Douma <l'Empire et ses leaders servirent de bouclier contre une possible contre-révolution tsariste », écrit · Soukhanov 23 • D'autre part, Milioukov, Rodzianko et autres sentaient que, sans un accord avec le Soviet, le gouvernement n'aurait pas la confiance du peuple et spécialement des soldats. Le Soviet joua un rôle important en « organisant » le soulèvement, en particulier dans les forces armées ; sans son intervention, nombre d'officiers auraient été lynchés. Ainsi l'accord, ou trêve des classes, entre le Gouvernement provisoire et la direction du Soviet, était au départ dans l'intérêt des deux ·parties. La révolution n'aurait probablement pas été acceptée par les commandants du front (tels Alexéiev et Rousski) si elle avait été dirigée par des « extrémistes » comme Kérenski et Tchkheïdzé, à plus forte raison par des•inconnus tels que Stiéklov et Soukhanov. Si la révolution fut acceptée dans les milieux conservateurs, monarchistes et patriotes, c'est parce qu'elle était sanctionnée par des noms aussi « respectables » et connus que ceux de Miliou- .kov, Roâzianko ou Choulguine. Mais plus tard ? Plus tard, lorsqu'il devint de plus en plus évident que les deux camps avaient des idées différentes sur les questions vitales, et lorsqu'il s'avéra que les socialistes jouissaient de la confiance de l'immense majorité du peuple, alors que les cadets représentaient une petite minorité même dans les grandes villes 24 , pourquoi les nouveaux dirigeants du' Soviet revenus de leur exil en Sibérie ou à l'étranger Tsérételi, Gotz, Tchernov, Dan, - qui remplaçaient les pre23. Melgounov : op. cit., pp. 310 et 403. 24. Les nombreuses élections aux municipalités et aux zemstvo qui eurent lieu durant ces mois-Jà le prouvèrent amplement.
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