72 des visées impérialistes russes pouvaient naguère encore satisfaire le leader cadet. J?evenu tolérant envers ses anciens ennemis politiques, il en arrivait, en recherchant les raisons profondes du fiasco de Février, à une conclusion fataliste : l'effondrement de la. démocratie et la victoire du bolchévisme étaient un « phénomène spécifiquement russe » inconcevable ailleurs 6 • Il mourut en 1943. Eût-il .vécu plus longtemps et assisté à l'implantation du communisme en Chine, il aurait probablement révisé aussi cette conclusion. Trotski et son <<paradoxe» PARTANTde prémisses opposées, Trotski suivait, dans son histoire de la révolution, un schéma similaire. Pour lui, Février n'était que le prélude à Octobre, un premier stade, modéré ou bourgeois, de la révolution finale, sociale ou socialiste. Cependant, tout en traversant les étapes désormais classiques de la Révolution française, la révolution russe de Février avait été, selon Trotski, marquée par · un « paradoxe » spécifique. Les choses se seraient passées ainsi : les ouvriers, soldats et marins insurgés avaient remis le pouvoir au Comité exécutif des soviets (Vtsik) dominé par le bloc modéré s.-r.-menchévik; les chefs de ce dernier, obstinément attachés au dogme menchéviste quant au caractère bourgeois de la révolution, avaient refusé d'assumer le pouvoir pour le confier à la bourgeoisie représentée par le Gouvernement provisoire. La bourgeoisie (c'est là sans doute l'aspect le plus paradoxal du « paradoxe ») qui n'était pas avide de pouvoir non plus 7 , accepta de former un gouvernement à la condition que les socialistes mod/rés du Soviet renoncent temporairement aux points les plus discutables de leur programme, tels que la guerre, la réforme agraire et la convocation prématurée d'une Assemblée constituante. Dans sa prose mordante, Trotski comparait cet arrangement à l'invitation lancée aux Varègues au IXe siècle. Dans cet effacement volontaire, cette peur des responsabilités gouvernementales montrée par les socialistes modérés, il voyait la racine du problème (suivant ses propres termes, le « principal nœud politique ») de la révolution, la dualité du pouvoir conduisant à une 6. Milioukov : Rossiia na pérélomié (La Russie au tournant), Paris 1927, vol. I, p. 38. 7. A cet égard, Trotski cite Rodzianko, président du Comité provisoire de la Douma, qui déclarait que ledit comité avait accepté de former le Gouvernement provisoire contre sa volonté et sous la forte pression de la population. ~i·blioteca Gino Bianco ---, • LE CONTRAT SOCIAL paralysie à la fois du Gouvernement et du Soviet. Le régime se trouvait devant le dilemme : ou bien Kornilov, qui exprimait les intérêts de la bourgeoisie, ou bi~n Lénine, qui représentait le prolétariat 8 • 1 .... .. • • CETTE INTERPRÉTATIOdNes vices essentiels du régime de Février fut donnée au début des années 30 par Trotski, alors exilé à Prinkipo (Turquie). Il est certes difficile de ne pas voir dans son « paradoxe » un élément-clé .de la révolution; on est cependant surpris par la véhémence de ses accusations ·contre les « médiocrités » et les « conciliateurs » de la -direction s.-r.-menchévik et par son incompréhension de leurs mobiles. Après tout, son Histoire fut écrite quinze ans après la révolution, alors que l'auteur, exempt de responsabilités et n'ayant pas à craindre la censure soviétique, pouvait juger les anciennes querelles d'un point de vue nouveau. Mais comment pouvait-il ignorer le fait majeur et (pour lui) tragique : à savoir que l'Octobre prolétarien était, dès 1933, pour employer ses propres termes, irrémédiablement « trahi, dégénéré et défiguré » ? N'avait-il pas prouvé lui-même avec éloquence que la « bureaucratisation » et la « perversion » du régime soviétique était dues au retard socio-économique de la Russie, au fait gu'elle n'était pas pr~te pour le socialisme ? Or, telle était précisément la thèse (presque le dogme) des menchéviks, que Trotski avait été à même de bien connaître pendant sa longue collaboration avec eux. Dans les heures où il revoyait le passé, peut-être s'est-il rappelé certains des avertissements de ces « médiocrités » qui avaient, après tout, prévu le sort de la révolution « socialiste » en Russie avec plus d'exactitude que lui-même. Kérenski et le double complot CONTRAIREMENATÎROTS.KIet à Milioukov qui, tous deux pour des raisons différentes, répudiaient la dualité du pouvoir et la coalition, Kérenski fut, du commencement à la fin, l'un des principaux et des plus éloquents porte-parole de l'idée de coalition et d'union de toute~ les forces « nationales » ou « vitales ». Personnage le plus populaire de la révolution, en particulier à ses débuts, Kérenski charmait et gagnait soldats et chefs militaires, membres de la dynastie déchue et jeilll:es . 8. L. Trotski : Istoriia rousskoi révolioutsii, Berlin 1931, vol. I, pp. 181-208.
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