Le Contrat Social - anno XI - n. 1 - gen.-feb. 1967

, 2 supplanter le maréchal Peng Teh-huai, « liquidé » par étapes, et de devenir bras droit de . Mao. Les initiatives ineptes de ce dernier, entre autres le faux bond en avant et les communes impopulaires, sans parler des hauts fourneaux lilliputiens, devaient discréditer le génial Mao devant ses acolytes les moins bêtes. Il s'avère à présent que sa mutation d'une présidence à l'autre, en 1958, n'a pas été volontaire : sous un secret d 'Etat bien gardé, il y eut « au sommet » un âpre conflit dont Mao ne sortit pas à son avantage. Il lui aura fallu des années pour entreprendre un règlement de comptes. Ce laps de temps, Mao l'a mis à profit en tramant sa prétendue « révolution culturelle », en vérité une contre-révolution machinée contre toute culture, si les mots ont un sens. On ne sait d'ailleurs pas trop ce que signifie l'idéogramme interprété comme « culturel ». En revanche, il est clair que Mao a dû entrer en guerre contre son propre parti, contre la jeunesse communiste, contre les syndicats ouvriers et même contre la police politique et contre des formations militaires qui n'obéissent pas à leur chef suprême nominal. Comme Staline dont le pouvoir exclusif n'a pu s'établir qu'après extermination des cadres du parti de Lénine et de toutes les institutions soviétiques ,subordonnées, Mao a eu besoin de créer une organisation parallèle à son parti récalcitrant pour soumettre le pays en rupture de discipline. Acculé à une sorte de reconquista, il a dû endoctriner, préparer de longue main, mobiliser, dresser l'encadrement de ses millions de « gardes rouges » pour les lancer à l'assaut de ce qu'il regarde comme obstacles, à la différence de Staline qui a pu opérer moins bruyamment par l'intermédiaire de ·son Guépéou assassin sous le couvert du Politburo et d'un Comité central soumis à de sanglantes épurations successives. Une pseudo-révolution décrétée d'en haut s'accomplit ainsi contre le régime communiste d'hier et contre les classes laborieuses d'aujourd'hui, au moyen d'un instrument juvénile inconscient appuyé, dès qu'il se heurte à de sérieuses résistances, par des détachements militaires aux ordres d'un Lin Piao associé opportunément à l'entreprise. Certes, il se passe· en Chine des choses qu'on n'avait pas vues en Russie soviétique, par exemple les affichages d'informations tendancieuses, de dénonciations féroces et de slogans contradictoires dont les sources sont douteuses et les interprétations sujettes à caution. Les rassemblements de masse et les défilés incessants de blancs-becs comptés par millions ne ressemBibliotecaGino Bianco • • LE CONTRAT SOCIAL blent guère aux procédés subreptiëes et aux procédures cauchemaresques de Staline. Cependant, il est question de politiciens· et de lettrés battus jusqu'au sang et exhibés, le visage tuméfié, sur la voie publique, ainsi que de morts indénombrables et de suicides en série. Con1me Tomski, Gamarnik, Skrypnik et autres en pleine terreur. stalinienne, de hauts dignitaires chinois ont mis fin ou tenté de mettre fin à leurs jours, à l'instar de Kao Kang, pour ne pas tomber vivants aux mains de leurs chers camarades (aurait-on traduit en chinois le Jardin des supplices ? ). Mao, comme Staline, ne réunit plus• depuis longtemps les congrès du Parti. Sa brochure rouge et soporifique, recueil des meilleurs échantillons de sa « pensée » dérisoire, équivaut en qualité, pour les surpasser en quantité, _ aux Principes du léninisme et au Précis de son prédécesseur et modèle, de sinistre mémoire. On ne signale pas de. « vipères lubriques» en - Chine, mais des notabilités hier vénérables s'y transforment en « méprisables cochons qui se conduisent comme des chiens », et vice versa sans doute. Sous la terreur jaune comme sous la rouge, des enfants dénoncent et condamnent leur père, des réprouvés s'avouent coupables, des innocents se rétractent, des repentis se repentent de leur repentir. Brochant sur le· tout, un culte abject de la pseudo-personnalité de Mao, conçu et -ordonné par lui-même. Ci-devant intangibles, tous les dirigeants communistes qui portent ombrage à Mao ou à sa femelle deviennent ipso f acta révisionnistes, réactionnaires, traîtres, capitalistes, bref antiparti. Leur .liste, trop fastidieuse à détailler, comprend déjà une majorité du Comité central et nombre de ministres, de généraux; de fonctionnaires supérieurs vilipendés en tant que « bande noire ». Rétrospectivement, Confucius est mis au pilori comme ancêtre du révisionnisme. Au comble de l'imbécillité, le Drapeau rouge recommande un système électoral conforme à celui de la Commune de Paris. Cependant rien ne s'arrange : il n'est question que d'épurations en tous genres, d'échauffourées, de complots, d'émeutes à la ville, de jacqueries à la campagne, ici d'exécutions,. là de tortures. Cinqu8:nte millions de. « gardes rouges » ne sont pas venus à bout d' « une poignée de responsables ». Le fait certain, parmi tant d'incertitudes, c'ést que Mao ne compte que sur ,.une partie de l'armée pour avoir, au mépris de tout principe et de toute morale, le dernier mot dans cette lutte sordide pour le pouvoir. . . B. SouvARINE.

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