E. DELIMARS Branko Voukélitch, fils d'un colonel serbe, fit ses études à la Sorbonne, devint journaliste, entra au parti communiste et se rendit en 1934 à Tokyo, correspondant de l'hebdomadaire parisien Vie et du journal Politika de Belgrade. En 1938, il devint représentant de l'agence Havas à Tokyo, correspondant de l'hebdomadaire paritallé le laboratoire de photographie et l'émetteur de radio pour les liaisons avec Moscou : Il fut enfermé dans le camp de concentration le plus atroce de tout le Japon. Au cours de l'insrruction, il fit preuve d'un courage exceptionnel, refusa de fournir la moindre information, ce qui lui valut de subir des tortures épouvantables. Au moment de sa mort, il pesait trente-deux kilos. L'ancien marin radio Klausen, communiste allemand, fut recruté par Sorge dès la première mission de celui-ci en Chine. A Tokyo, il fut placé à la tête de la firme Max Klausen et C1e, au capital de 100.000 yens, qui faisait des photocopies de documents et dessins techniques pour divers établissements industriels et pour l'armée elle-même. Cette maison marchait bien, mais le travail principal de Klausen était toujours le poste émetteur de Sorge. De ce groupe d' « éclaireurs », Klausen fut le seul à sortir vivant des prisons japonaises. Il fut libéré par les autorités américaines d'occupation (Front, p. 56). Les deux autres collaborateurs importants de Sorge, les Japonais Miahi et Ozaki, avec lesquels il s'était lié à Changhaï, nous sont présentés également en « héros positifs » fort sympathiques. Ozaki était un publiciste, un poète et une personnalité politique : Homme très sérieux et réfléchi, d'une étonnante pureté idéologique et morale, très exigeant envers lui-même, il était torturé par le conflit entre ses sentiments de patriote japonais et ses convictions socialistes. Sorge, après beaucoup d'entretiens amicaux avec lui, avait réussi à le convaincre que le dévouement au socialisme n'exclut point le patrio- . tisme, si ce patriotisme est un patriotisme réel et non fictif (ibid., pp. 37-38). Sa haute culture et ses capacités d'analyse de la situation politique lui valurent, en juillet 1938, le poste de conseiller officieux du premier ministre, le prince Konoye. Comme Sorge, il fut condamné à mort. Quelques jours avant son exécution, il écrivait : « Si l'on réfléchit bien, je suis un homme heureux. Toujours et partout, j'ai rencontré l'amour des hommes. J'ai vécu une vie éclairée par cet amour, qui brillait comme les étoiles qui scintillent en ce moment, et par l'amitié qui était parmi elles un astre de première grandeur (ibid., pp. 56-57). Suit un commentaire plutôt lourdaud : Quelle admirable conception du monde que celle de ces hommes qui avaient réussi à conserver, dans la clandestinité la plus cruelle, leur santé morale et leur élévation d'esprit, de ces hommes qui avaient connu le bonheur personnel et qui, devant le poteau d'exécution, étaient capables de penser aux étoiles, l'amitié étant pour eux une étoile de première grandeur (ibid., p. 57). Le peintre Miahi, portraitiste en vogue des généraux nippons, obtenait de ses clients et amis des confidences précieuses. Au moment de BibliotecaGino Bianco 29 sa condamnation, il était déjà mourant. Il tenta de se suicider en prison et ses tortionnaires l'achevèrent quelques jours plus tard. La constellation entière d' « éclaireurs » de Sorge est digne de l'admiration universelle : Dans les victoires mondiales du socialisme est incluse une parcelle de son sacrifice. Il travaillait pour l'avenir. C'est aussi à lui que nous devons notre vie paisible, notre labeur et notre vie d'aujourd'hui. C'est pour cela que les hommes prononcent avec tant de gratitude les noms de Sorge et de ses camarades ( ...). Les antifascistes japonais fleurissent sa tombe ... Nous avons tenté ici de préciser seulement quelques traits essentiels de ce héros. Son portrait complet est infiniment plus complexe. C'était un véritable héros, car les héros du prolétariat sont simples et ordinaires. Leur héroïsme consiste uniquement à faire, au moment décisif, ce qui doit être fait (ibid., p. 59). * * * APRÈS SoRGE, le public soviétique s'est vu offrir plusieurs « héros positifs » similaires. Le roman de Vadim Kojevnikov, Le Bouclier et le glaive, est consacré aux exploits d'un autre espJon soviétique d'origine allemande, Rudolf Abel. A la veille de la guerre, ce tchékiste avait réussi, sous le nom de Johann Weiss, à devenir le chauffeur personnel d'un important officier de !'Abwehr. Kojevnikov décrit son travail extrêmement dangereux au centre même de l'espionnage hitlérien. Les exploits de Weiss et de quelques espions russes placés dans les services allemands sont présentés par l'auteur dans une auréole de gloire immortelle. Cet Abel continua après la guerre son travail d'espion aux Etats-Unis, mais avec moins de succès. Arrêté par le F.B.I. en 1957 et condamné à trente ans de prison, il fut échangé par les Américains en février 1962 contre Francis Powers, pilote de l'avion U-2 abattu au-dessus de l'U .R.S.S. Actuellement à la retraite, couvert de décorations et Héros de l'Union soviétique, le colonel Abel publie ses souvenirs dans la revue Molodoï Kommounist de Moscou (le Monde, 15-2-66). Aux exploits d'une audace et d'une habileté incomparables du tchékiste Koudria, laissé derrière les lignes, au début d'août 1941, par le N.K.V.D. d'Ukraine dans Kiev menacé par les Allemands, sont consacrés les ouvrages : Maxime ne répond plus, Récit d'un fait d'armes réel, ainsi que l'exposé romancé : « Deux années au-dessus du précipice » (Front, pp. 75114). L'identification de quatre-vingt-sept agents allemands implantés en U.R.S.S., le dynamitage de l'immeuble de la Kommandan-
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