Le Contrat Social - anno XI - n. 1 - gen.-feb. 1967

28 blancs, de microfilms cachés dans des bouquets de roses, de conquêtes faciles et de vins capiteux - tel était l'insaisissable, l'omniprésent et mystérieux Sorge dans les écrits des étrangers. Tout cela n'est que mensonge. Richard Sorge, surhomme et superespion, n'a jamais existé.. Dans l'essentiel et dans tous les détails de son activité, il était entièrement différent (Front, p. 27). Il s'agit donc de démentir ces fables et faire de Sorge un « héros positif » sympathique et captivant, une incarnation vivante de toutes les vertus civiques et morales. On insiste sur sa puissance de travail, sa volonté inébranlable, son énergie farouche, son dévouement sans borne au communisme, sa haine de la guerre et ses efforts désespérés pour sauver la paix. Dès le début de la campagne de glorification des héros positifs tchékistes, le journal de Moscou Sovietskaïa Rossiia avait chargé une équipe de ses correspondants spéciaux de préciser la vraie figure de Sorge, de ses proches et de ses amis, afin de couper court aux élucubrations qui courent sur son compte en Occident. Dans un recueil intitulé : Le Front sans ligne de feu 10 , les résultats de cette enquête donnent une nouvelle réponse à la question : « Qui êtes-vous, docteur Sorge? » Rien n'y est épargné pour transformer Sorge en un pur héros révolutionnaire. On rappelle que son grand-père, Friedrich Adolf Sorge, révolutionnaire allemand de 1848, ancien secrétaire du Conseil général de la Ire Internationale au congrès de La Haye, avait entretenu pendant plus de vingt ans une correspondance suivie avec Marx et Engels. On décrit longuement la jeunesse de Richard Sorge, combattant volontaire de l'armée allemande pendant la première guerre mondiale, son doctorat en sociologie, brillamment obtenu en 1919 à Hambourg, son travail dans le parti communiste allemand de 1919 à 1925, son admission au P.C. de !'U.R.S.S. en mars 1925, ses études intenses et ses nombreux travaux publiés à Moscou. Son immense culture; sa connaissance très étendue de la Chine et du Japon, dont il avait assimilé la culture séculaire, et sa foi communiste expliquent son adhésion aux services secrets soviétiques. Le rayonnement de sa personnalité, de sa volonté et de son intelligence avaient conquis non seulement ses collaborateurs, convertis par lui au credo communiste, non seulement les Allemands de Tokyo, devant lesquels il paradait sous le masque nazi, mais 10. Front bez linii fronta (titre abrégé : Front), édition de l'agence de presse Novosti, Moscou 1965, tiré à 400.000 exemplaires. /" BibliotecaGi_noBï°anco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE les policiers japonais eux-mêmes qui admirèrent sa bibliothèque personnelle de plus de mille volumes nippons. L0rs de son arrestation, ils trouvèrent sur sa table de chevet un recueil de vers de Ranzan, poète japonais du XVIe .' 1 s1ece. . · Pour faire vibrer la corde sentimentale du lecteur russe, les auteurs montent en épingle l'abnégation et l'esprit de sacrifice de Sorge, qui, sans hésitation, avait immolé à sa tâche , son bonheur personnel. On nous présente sous un jour touchant sa femme Katia Maksimova, jeune actrice très douée qui, en 1929, avait abandonné la scène par conviction communiste pour aller travailler dans une usine « au plus profond de la masse ouvrière ». Sorge, qui la connaissait depuis 1925, l'avait épousée en 1933 et était reparti en mission secrète après une courte lune de miel. Il ·ne ,revint qu'en 1935 pour un bref congé. C'était la dernière rencontre de Sorge avec Katia qui, en bonne communiste, supportait stoïquement sa solitude et espérait toujours le retour de son cher Richard. On ne nous laisse ignorer aucun détail de cette triste histoire d'un bonheur pur sacrifié au devoir. On nous fait lire les rares lettres émouvantes que les époux séparés avaient réussi à échanger. Mais on ne nous dit point pour quelle raison Katia chef d'atelier dans une usine de Moscou s';st retrouvée en 1938 dans un village perdu des environs de Krasnoïarsk. La mention d'une ?éportation, même imméritée, ne pouvait que Jeter une ombre sur la pure image de l'épouse de Sorge : · Son destin, ses joies et ses peines portaient l'empreinte de l'époque. Il est pénible de raconter l'histoire de ces deux êtres bons et braves. Il est pénible de parler d'une femme qui, en pleine paix, a vécu comme une femme de soldat pendant la guerre. Elle écrivait à son mari et enfouissait ses lettres dans un tiroir, car on ne pouvait faire parvenir à Richard que de très brèves nouvelles d'elle (...). Katia mourut · ·le 4 avril 1943 dans son village sibérien. Elle ne savait pas que son Richard se trouvait déjà dans une prison japonaise. Quinze mois plus tard, Sorge fut pendu. Il ignorait toujours la mort de sa femme (Front, p. 51). * * * R !CHARDSoRGEest entouré d'une constella- . tion de collaborateurs, « héros positifs » plus, modestes, mais non moins émouvants : Le 20 janvier 1965, les journaux ont publié le décret du présidium du Soviet suprême de !'U.R.S.S. décernant des décorations soviétiques à Branko Voukélitch, ainsi qu'à Max et Anna Klausen (Front, p. 59).

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