Le Contrat Social - anno XI - n. 1 - gen.-feb. 1967

20 Dans les économies mixtes occidentales d'aujourd'hui, la situation est infiniment plus complexe. On y chercherait en vain une ligne de démarcation bien tracée entre les deux secteurs : ceux-ci s'imbriquent si profondément qu'on trouve de nombreux éléments collectifs jusque dans les entreprises relevant de la propriété individuelle la plus pure, et des éléments_ concurrentiels dans le secteur collectif, nationalisé. Les entreprises de l'un et de l'autre secteur ne sont pas moins obligées de s'incliner devant les décisions du pouvoir législatif (législation sociale, législation économique, politique des salaires, politique des investissements, taux d'intérêt, et nous en passons) que devant les impératifs de la concurrenée. Dans son ensemble, l'économie est imprégnée de directives ·et d'orientations la soumettant à la volonté collective de la représentation nationale, et cependant l'initiative individuelle se donne libre cours jusque dans les entreprises les plus strictement étatisées. La démarcation entre le collectif et l'individuel ne sépare plus deux secteurs distincts ; elle passe à travers toute l'économie, et même dans des pays où le secteur étatique est réduit à sa plus simple expression (Etats-Unis, Allemagne), l'économie doit se plier à tous les échelons à la volonté collective librement exprimée par la représentation nationale librement élue. On peut considérer cela comme une première étape vers le socialisme, étape certes bien primitive, mais combien différente aussi du schéma sommaire tracé par Marx, il y a plus de quatre-vingt-dix ans, dans sa Critique du program1ne de G9tha ... Cette évolution du monde occidental depuis un tiers de siècle (elle a commencé _avec le New Deal américain en 1933) a mis un terme aux crises périodiques. Le libre jeu des forces économiques continue,- l'offre et la demande s'affrontent, mais elles ne fonctionnent plus à. l'intérieur du capitalisme classique. Puisque ce ne- sont pas les lois du libéralisme, mais celles du capitalisme, qui -étaient à l'origine des crises, l'extinction du capitalisme classique a entraîné la disparition des déséquilibres qui aboutissaient aux crises. C'est pourquoi nous croyons pouvoir affirmer que l'économie occidentale de nos jours a .cessé d'être capitaliste. Elle évolue vers des formes et des méthodes de gestion collectives. De toute façon, elle se distingue -beaucoup, et à son -avantage, de celle d'avant guerre. ·siblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL PEUT-ON en dire autant de l'économie soviétique ? Elle est demeurée figée depuis le début du premier plan quinquennal. Figée en ce qui concerne ses structures, malgré son industrialisation précipitée. Si l'évolution des structures occidentales ne fait aucun doute, l'économie soviétique a conservé s~ charpente totalitaire créée par Staline. Ce n'est que depuis quatre ans que la campagne du professeur Liberman (tolérée parce qu'il agissait en service commandé) a mis en cause quelques aspects et méthodes de la planification ultracentraliste, et c'est depuis deux ans seulement que l'on tente d'appliquer quelques-unes de ses propositions dans le secteur limité de certaines industries travaillant pour la consommation. La réforme amorcée n'entend nullement remettre le libéralisme en honneur ni condamner la planification centrale en vertu de laquelle l'Etat totalitaire décide de tout. Elle vise· simplement à assortir cette planification de mécanismes du marché déterminés, afin de la rendre plus efficace et moins onéreuse. Certains Occidentaux exultent parce qu'on « redécoùvrirait » ainsi le profit. Mais le profit a toùjouts existé dans l'économie soviétique : tous les budgets, même sous Staline, c9ntiennent un - chapitre intitulé : « Prélèvement sur les bénéfites » 2 • Jusqu'ici catégorie purement inerte, le profit doit désormais jouer un rôle actif pour mesurer la rentabilité des entreprises. Jusqu'à présent fictif (c'est-à-dire inexistant) et .obtenu par des prix artificiellement surélevés, on veut en faire maintenant une réalité : à court de . fonds et redoutant une fois de plus l'inflation, l'Etat _ne peut plus se permettre de prodiguer à l'économie les subventions astronomiqu~s dont il la comblait naguère. Les économistes soviétiques ont donc parfaitement raison de s'insurger contre les interprétations· occidentales : le système. ne s'achemine ni vers le libéralisme ni vers le capitalisme. Forcés de rechercher la rentabilité dont l'absence risque d'être mortelle à la longue, ils doivent pouvoir la mesurer, et les seuls instruments de mesure sont ceux de toujours : les mécanismes du marché, établissant le prix de revient et le prix de vente, et par là même la marge intermédiaire. Mais dans l'esprit des hommes, du Kremlin, ces instruments. 9e mesure doivent être· utilisés sous la stricte sur-. veillance des planificateurs centraux. Il ne s'agit pas d'une libéralisation de l'économie S(?viéti2. Le mot russe prlbyl signifie à la fois profit et bénéfice. ..

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==