Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

L. EMERY l'industrie et l'agriculture que de résoudre un immense problème moral, d'unir étroitement, dans la ferveur d'un culte personnalisé, le communisme, le nationalisme et la volonté de puissance. Lorsque de jeunes énergumènes se déchaînent contre tous les vestiges d'une société archaïque et s'en prennent indifféremment aux temples, aux enseignes et aux costumes, ils peuvent paraître odieux et ridicules, mais ils ont droit pourtant à la louange des _ chefs, car ils montrent qu'ils ont bien compris la leçon ; ne dit-on pas d'ailleurs que ces iconoclastes primaires accomplissent une « révolution culturelle » ? Formule emphatique, mais qui correspond du moins à la partie négative et destructive de cette révolution ; le clubiste qui faisait d'une église un grenier n'était-il pas convaincu, lui aussi, qu'il raturait un passé maudit? Tout autrement difficile est la partie constructive de la révolution, dont on ne saurait trop répéter qu'elle est essentiellement pédagogique, ayant pour fin dernière la formation de l'homme nouveau. En ce sens donc, il est vrai de dire que les Chinois prétendent travailler à l'édification d'une culture et qu'ils s'y appliquent avec un fanatisme tout à fait cohérent. Que l'enseignement du peuple soit, par tous les moyens, une incessante et obsédante propagande, il est superflu de le rappeler ; mais on doit ajouter que les chefs le reconnaissent sans difficulté, car ils savent que dans la civilisation qui naît l'individu est un résidu des temps anciens, un grain de sable dans la machine, et qu'il convient de bien préparer la pâte par le conditionnement de chacun ainsi fondu dans la masse. De même entrent en jeu la confession publique, l'autocritique, l'obligation de s'humilier avec délices et d'obéir avec joie, l'obligation aussi pour les intellectuels de s'adonner périodiquement aux tâches les plus viles et de sentir qu'ils s'y éduquent pour gagner droit d'accès au meilleur des mondes. Allons plus loin encore : rien n'explique mieux les principes de la politique intérieure chinoise que la position prise à l'égard de la littérature, des arts, de l'histoire et même de la science, bref de tout ce que, par tradition, nous intégrons dans la culture et concevons en fonction de notre passé. Admettons volontiers que participent à la genèse de la culture l'instinct des foules, l'art populaire, les imaginations et les pensées collectives ; nous n'en croyons pas moins que rien ne s'achève et ne trouve sa forme pure sans l'intervention des élites, des hommes de talent et des hommes de génie. Or voilà bien Biblioteca Gino Bianco 323 ce que récuse le communisme de Mao, et qui lui paraît pénétré d'un damnable esprit réactionnaire. Tout vient de la masse, dès l'instant qu'elle est consciente d'elle-même, de ses droits absolus et de sa mission, libérée des préjugés reçus d'une civilisation de mandarins, d'aristocrates et de bourgeois. Pour nous en tenir à un seul exemple, songeons à cet historien fameux, membre du Parti de surcroît, qui, après s'être traîné dans la fange au propre et au figuré, après avoir goûté ainsi l'ineffable bonheur de se sentir identique à la masse sous le regard de Mao, désavoue ses travaux savants et se félicite de les voir détruire parce qu'il a compris que la nouvelle histoire n'est point là. Elle est · en effet dans les mille témoignages anonymes que les ouvriers et les paysans sont invités à rédiger et qui, s'ajoutant les uns aux autres, constitueront le monument de la vérité nue, l'œuvre de tous faite pour tous, la révélation authentique d'un génie indivisé ; il en sera progressivement de même de toutes les œuvres artistiques et littéraires. Laissons aux sceptiques le soin de demander si cette révolution s'étendra aux sciences et si Mao s'en remet à la masse du soin de construire l'armement atomique en quoi il met tant d'espoirs ... C'en est assez pour comprendre qu'on n'a jamais peut-être appliqué tant de constance impitoyable à pétrir le corps social jusqu'à ce que les survivances de la vie personnelle soient enfin . ,. exorc1sees. * * * L E DUR PORTRAIT de la Chine communiste exigerait, s'il pouvait être dessiné, des reliefs coupants et des tons crus ; celui de !'U.R.S.S. porterait déjà sur lui une sorte de patine, car on ne peut éviter de subir les effets d'une expérience déjà longue. Le moment chimiquement pur de cette expérience fut marqué par l'apogée du stalinisme, puisque c'est alors qu'on vit une sorte de fureur démoniaque et méthodique soumettre les hommes à la rigueur inhumaine de la doctrine. Nous ne saurons jamais si Staline fut seulement un despote implacable, fou d'orgueil et de méfiance, ou bien s'il eut vraiment la conviction de porter en lui une immense nouveauté. Quoi qu'il en soit, nous constatons que, là aussi, la pièce maîtresse du système est bien le culte de la personnalité, c'est-à-dire celui du chef unique et infaillible qui prononce souverainement sur la politique, la biologie, la linguistique, l'esthétique et toutes les sciences humaines sans restriction. A ce degré d'éminence, il est normal que la pensée du maître rayonne sur tous, .,.

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