Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

322 traduite par une propagande homogène et continue, n'est qu'une forme de la mobilisation, qui s'y dérobe devant être traité comme un ennemi, un déserteur ou un traître ; et cela du moins est clair. Mais au second degré nous voici, la paix revenue, dans l'Etat révolutionnaire et populaire; s'ensuit-il que le libéralisme bourgeois va reprendre droit de cité ? On sent bien que la logique du système répond par la négative et qu'on va seulement officialiser franchement, adoucir peut-être en quelques points, ce qui a été imposé par le communisme de guerre. Ce qui, dans la société capitaliste, n'était que masque et tromperie, « opium du peuple », se purifie par une sorte de loyauté massive, car il n'est qu'une vérité, celle que le Parti promulgue au nom du peuple. Outre qu'en rigueur la guerre n'est jamais achevée, car il faut toujours se méfier des noyaux contre-révolutionnaires, le problème qui se pose maint~nant pour arriver le plus vite possible à la perfection de la société sans classes est celui de l'efficacité de chacun dans l'effort collectif et discipliné, ce ·qui suppose prise de conscience personnelle au sein· de la conscience collective. La vérité d'Etat ne se donne plus comme propagande, mais comme éducation indéfinie, planification du travail mental, exigence du meilleur rendement socialiste. Que sont les fantaisies d'un individu par rapport à des buts aussi immenses ? Il ne reste plus qu'un pas ou qu'une étape à franchir pour se montrer pleinement conséquent. Le programme culmine en effet dans l'affirmation que le socialisme authentique n'est pas seulement un mode politique et économique parmi d'autres, mais une civilisation parfaite, digne de l'homme intégralement nouveau qu'on est en train de préparer pour elle. Qui ne voit que l'immensité du projet redonne pleine vigueur au vieil adage qui veut que la fin justifie les moyens ? * * * DEMANDONS maintenant à l'histoire contemporaine quelques précisions éclairantes. Il .est peu douteux que l'exemple le plus démonstratif soit celui du communisme chinois qui s'emploie avec un acharnement démesuré à faire coïncider pratique et théorie, ce qui le situe encore dans l'élan d'un triomphe relativement récent. A diverses reprises, au temps du « grand bond en avant », alors qu'il était ordonné de créer une métallurgie locale dans tous les villages, ou bien de rationaliser toutes les formes de l'existence privée dans les communes populaires, on· put croire que la BibliotecaGino Bianc·o LE CONTRAT SOCIAL limite de la démence était atteinte ou dépassée, que l'inévitable échec de ces ·expériences insensées allait ramener les dirigeants vers un peu plus de réalisme ; mais les récentes extravagances des « gardes rouges », chaudement approuvées par le pouvoir sans qu'elles l'engagent tout à fait, montrent bien que les reculs et les assouplissements sont toujours de pure tactique et que la doctrine demeure intouchable. Puisque les Chinois· se flattent d'être les vrais continuateurs de Lénine, ils devraient _bien relire La Maladie infantile du commu- :nisme, car il y a dans leur fanatisme bonne part d'infantilisme et jamais on ne le vit mieux qu'au cours des incidents actuels. · Ce qui importe le plus à notre propos, c'est le fait que la Chine, fidèle à Staline, considère le culte de la personnalité non pas comme une conséquence ou une poussée adventice, mais comme la pierre angulaire du système ; s'il est un point sur lequel s~accordent tous les visiteurs venus d'Occident, quelle que soit leur tendance, c'est bien l'aveu de leur lassitude, de leur stupeur ou de leur effroi devant l' accablant psittacisme qui fonde toutes les opinions en tous domaines sur la « pensée » de Mao, pensée infaillible par définition. Le communisme chinois est donc une théocratie matérialiste, suspendue tout entière à la personne d'un roi-pontife qui est en même temps le révé-· lateur et l'exégète des tables de la loi. Il se pourrait que la continuelle et furieuse dénonciation des « révisionnistes » de Moscou, injustifiable selon la logique et le pragmatisme politique, découlât du crime fondamental qu'on leur reproche, du sacrilège qu'ils commirent lorsqu'ils s'en prirent au culte de la personnalité ; depuis ce moment la Chine est la seule patrie d'une religion communiste, unitaire et totalitaire, que les Soviétiques ont laïcisée, donc irrémédiablement viqée de sa substance. . . Ainsi donc la révolution ·va bien au-delà de sa définition classique, d'un· transfert d'une classe à une autre du pouvoir et de la propriété. Pour en comprendre le vrai sens - et dût cette régression sembler paradoxale, - il ne faut pas hésiter à remonter dans le passé bien avant Marx, à revenir jusqu'aux Têtes rondes de Cromwell et aux jacobins français de 1793 ; ce qui est en cause dans tous les cas, c'est bien la création d'une civilisation nouvelle, l'inauguration' d'une ère nouvelle, comme en témoigne avec candeur l'adoption par la Convention du calendrier républicain, preuve simple et claire que tout recommence en un autre style. De même, la Chine de Mao se donne pour devoir suprême non pas tant de réorganiser "

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