L'OBSERVATOIRE des deux Mondes Contre-révolution culturelle en Chine DEPUIS que la guerre froide bat son plein entre les dirigeants communistes de Moscou et ceux de Pékin, ceux-ci déversent à torrents leurs invectives rageuses sur ceux-là qui répondent de temps à autre par de vertueuses justifications et des reproches consternés. Pour quiconque se refuse à sous-estimer systématiquement des ennemis, même aussi peu estimables, il était difficile de penser que les rejetons de Staline en viendraient là, méconnaissant à tel point leurs propres intérêts. Mais l'évidence a bientôt prouvé que leur niveau intellectuel ne dépasse en rien leur abaissement moral. L'échange d'aménités entre les parvenus des deux opérations militaires qui, au nom du prolétariat, leur ont livré le pouvoir en Russie et en Chine peut, nonobstant son ampleur énorme, se laisser résumer en quelques lignes. Les Chinois accusent violemment les Russes de révi-· nionnisme« moderne», d'embourgeoisement, de trahison du« marxisme-léninisme», de collusion avec les Etats-Unis et « l'impérialisme ». Les Russes répliquent modérément en protestant de leurs bonnes intentions, de leur fidélité aux principes, de leur souci d'unité à tout prix, de leur espoir en une réconciliation finale. Les Chinois prétendent mener une lutte sans merci contre les Russes qui font mine de vouloir« surmonter les difficultés passagères ». Ce pugilat verbal et profondément fastidieux, à peine agrémenté de menues variantes, menace de durer à l'infini. Le vocabulaire en usage dans ces diatribes saturées de haine mutuelle est aussi mensonger qu'hypocrite de part et d'autre. La mauvaise foi y coule à pleins bords. Pas un mot n'y a son véritable sens. On doit renoncer ici à des guillemets répétés, s'en remettre au lecteur quelque peu averti pour qu'il comprenne ce que parler veut dire, étant d'abord entendu que l'antagonisme russo-chinois n'a rien de doctrinal ou« idéologique», contrairement à ce qu'en dit toute la presse radoteuse. La monotonie et la pauvreté de la polémique chinoise au vitriol frappent l'observateur· impartial non moins que la faiblesse des rétorsions soviétiques à l'eau de mélisse. Les deux camps ont visiblement un égal intérêt à ne pas aller trop au fond des choses, craignant un déballage en retour préjudiciable à leur prestige respectif. A part quelques propos malsonnants de KhrouBibliotecaGino Bianco chtchev et une critique collective signée Souslov ,. la contrepartie de Moscou aux réquisitoires véhéments de Pékin se caractérise à l'origine par un ton geignard, presque suppliant, puis par un style sermonneur et doctoral, enfin par une attitude résignée de regret dans l'attente que les accès de fureur chinoise s'apaisent d'euxmêmes. C'est ce que le journalisme occidental considère comme de« fçrmes » ou« énergiques» protestations qui préluderaient à une « rup-. ture » (pourtant déjà accomplie en fait depuis que les protagonistes se traitent réciproquement de révisionnistes et de trotskistes) ou à une excommunication majeure (autre non-sens puisque l'ex-organisation commune n'existe plus et que rien ne saurait empêcher Mao et Cie•d'occuper sur la scène internationale la place qu'on leur accorde). Même les communistes yougoslaves, particulièreme_nt couverts d' outrages par leurs congénères chinois, ne réagissent que sur le mode défensif et quasi larmoyant. On .. comprend que des gens qui se respectent ne veuillent pas se colleter, fût-ce en paroles, avec des énergumènes frénétiques. Oil n'imagine cependant pas un Lénine restant aussi passif devant tant d'animadversion chauvine déguisée en orthodoxie pseudo-marxiste. Après la chute de Khrouchtchev, due à des motifs intra-soviétiques, ses acolytes de la veille ont apparemment tenté d'amadouer les forcenés de Pékin en leur chantant l'air connu : « Oublions le passé, reviens ... », ce qui devait masquer de sérieuses tractations en coulisse sur le prix à payer pour en finir. « Les différends sino-soviétiques sont appelés à disparaître, affirme le vice-président du gouvernement de Moscou » : tel était le titre d'une information dans le Monde du 30 décembre 1964, à la fin d'une visite de Chélépine au Caire. Qui croira que les Chinois tenaient Khrouchtchev pour personnellement et exclusivement responsable de la querelle intestine, comme s'il avait pu ne pas traduire la politique de son parti, c'est-à-dire de la direction collective d'icelui? Sans doute les successeurs de Khrouchtchev avaient-ils des raisons de spéculer sur les arrière-pensées de certains dirigeants chinois moins intraitables que Mao. C~que semblent confirmer les mesures de rigueur prises contre des personnages haut placés dans la hiérarchie à Pékin, au cours des récents événements définis impudemment comme une « révolution culturelle » par ceux qui tirent les ficelles et par les courtisans qui leur font écho en Occident.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==