LE COMMUNISME ET LA CULTURE par Léon ON SE SOUVIENT d'un fait récent, d'autant plus remarquable qu'il fut d'abord très remarqué : deux écrivains russes assez notoires, convaincus d'être des mal-pensants et de s'être exprimés avec irrévérence au sujet de Sa Majesté. l'Etat soviétique, furent condamnés par un tribunal de Moscou à de lourdes peines correctives. Au temps de Staline, l'affaire serait restée inaperçue, les impies disparaissant soudain comme tant d'autres dans l'anonyme obscurité des camps de concentration ; reconnaissons qu'il y eut cette fois un semblant de procédure juridique, de jugement public et même, en faveur des accusés, un mouvement d'opinion, dont on ne réfréna pas très brutalement la ·manifestation. Cela même est fort intéressant, mais il y a plus : l'un des écrivains ainsi promus à une triste célébrité passagère avait, sous le pseudonyme d'Abram Tertz, publié en France un essai qui met en cause toute la conception soviétique de la culture, donc la doctrine officielle du « réalisme socialiste », et qu'on peut lire à la fin d'un recueil de nouvelles intitulé Le Verglas : nous ne saurions laisser passer cette occasion de nous pencher un moment sur un problème capital. * * * R IEN de plus banal que de se référer au fanatisme religieux, aujourd'hui très atténué, désavoué par toutes les Eglises, pour comprendre le fanatisme politique qui en a pris la relève avec une virulente énergie. On doit cependant relever une différence qui rend le second plus injustifiable encore que le premier. Lorsque les inquisiteurs d'antan envoyaient leurs victimes au cachot ou au bûcher, BibliotecaGino Bianco E11;1ery ils pouvaient du moins se flatter de l'idée qu'ils travaillaient à sauver des âmes, les sévices corporels n'ayant· par rapport à cette fin qu'une importance secondaire ; cette excuse n'a évidemment aucun sens pour des adeptes du matérialisme historique. Si les pensées des hommes sont, en chaque siècle, conditionnées ou même déterminées par l'état général de la société et des techniques, on voit mal pourquoi il serait nécessaire de faire agir sur elles des contraintes supplémentaires, en vue de pratiquer systématiquement le lessivage des cerveaux. En fait, ce processus accélérateur, pour qui tient à l 'expliquer doctrinalement, se rattache à une police et à une tactique ; il se retrouve d'ailleurs à plusieurs niveaux, comme nous allons le rappeler succinctement. Selon la théorie, c'est toujours la classse régnante qui impose ses normes et ses codes, cela bien entendu conformément à ses intérêts vitaux. Tant que la bourgeoisie est au pouvoir, elle confère à sa tyrannie un caractère hypocrite ; elle se réclame du libéralisme intellectuel, mais en fait la presse, l'édition, l'école sont façonnées selon ses directives et les pensées ne .circulent que dans la mesure permise. La période militante de la révolution impliquant le remplacement d'une classe par une autre, il s'ensuit que tout l'appareil de divulgation des idées doit subir le plus vite possible la mainmise des nouveaux maîtres, mainmise légitime cette fois puisqu'elle se fait ostensiblement au nom du peuple tout entier. A-t-on jamais vu, en pleine guerre, liberté laissée à l'ennemi de corrompre l'opinion ? Tant que dure le combat, un combat dont il incombe à la classe victorieuse de dire s'il est ou non terminé, l'oppression des esprits, pratiquen1cnt
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