LE CONTRAT SOCIAL taine. (Même le Monde soviétophile du 12 février 1954, en comptant la Grande-Bretagne et l'Irlande, n'en trouvait que trente.) Molotov s'étant gardé d'expliciter ses dires, il y a lieu de recourir à la presse communiste du temps pour y voir plus clair. Et en effet, l'organe stalino-communiste France nouvelle du 6 mars 1954, citant la N eue Zeit sarroise non moins communiste et stalinienne du 29 février, révélait comme suit la composition de « l'Europe Molotov» : 1, U.R.S.S. (partie européenne). 2, Ukraine. 3, Pologne. 4, Roumanie. 5, Bielorussie. 6, Tchécoslovaquie. 7, Bulgarie. 8, République carélo-finnoise. 9, République démocratique allemande. 10, Hongrie. 11, Lituanie. 12, Lettonie. 13, Estonie. 14, Moldavie. 15, Albanie. 16, France. 17, Espagne. 18, Suède. 19, Finlande. 20, Norvège. 21, Italie. 22, Allemagne occidentale. 23, Yougoslavie. 24, Grèce. 25, Portugal. 26, Autriche. 27, Danemark. 28, Suisse. 29, Pays-Bas. 30, Belgique. 31, Turquie (partie européenne). 32, Luxembourg. Il saute aux yeux que l'effronté porteparole de l'Union soviétique réussissait sa gageure de compter trente-deux Etats européens, tout en éliminant l'Angleterre et l' Irlande, en alignant seize Etats ou pseudoEtats communistes d'entrée de jeu, et en . perpétuant la division de l'Allemagne. Sur la nomenclature communiste, l'Ukraine, la Bielorussie, la République carélo-finnoise, la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie, la Moldavie, en plus ·de l'U.R.S.S., figurent sinon pour « faire rire des poules», selon l'expression russe, du moins pour réserver une bonne marge de marchandage. Molotov prévoyait le plus pour obtenir le maximum, ce que confirme une innocente remarque de France nouvelle, aussi curieuse qu'inspirée : « Pour être complet, il faudrait ajouter (...) les petits Etats comme le Liechtenstein, Andorre, Saint-Marin, Monaco et le Vatican.» Cela ferait décidément trentesept Etats, toujours sans compter la GrandeBretagne et l'Irlande, au lieu des trente-deux de Molotov et des trente du Monde, et il y aurait de quoi mieux marchander au départ. Selon le commentaire immédiat de l' Arbeiter Zeilung, de Vienne,« les Russes veulent diviser le monde libre et entraîner la France et l'Allemagne dans un système d'alliance rattaché à l'Union soviétique, bloc européen qui exclurait l'Angleterre et les Etats-Unis. Sur le modèle de ce que voulait Hitler, mais avec un chef différent» (Monde du 31 janvier). M. Anthony Eden, considérant le plan Molotov comme un« marché de dupes», dénonçait avec raison cette « doctrine de Monroe européenne» (Monde du 12 février). M. Roland Delcour, correspondant du Monde à Berlin, voyait dans ce « traité général européen sur la sécurité Biblioteca Gino Bianco 365 collective en Europe», avec une prescience vraiment louable, la « traduction sur le plan diplomatique du slogan communiste : U.S. go home» (Monde du 16 février). Quant à Georges Bidault, au nom de la France, il remarquait pertinemment, avant même de savoir que la Grande-Bretagne et l'Irlande ne feraient pas partie de l'Europe Molotov, que le plan en question « n'offre comme seule perspective à l'Europe qu'une domination soviétique sans contrepoids »... Cette Europe des Trente-deux « serait en réalité partagée en deux groupes d'Etats, un groupe communiste lié au bloc oriental, et un groupe d'Etats libres, équivalents en nombre, mais non en force. Entre ces groupes évolueraient quelques Etats neutres incapables d'influer sur la balance des forces» (Monde du 16 février). Et Georges Bidault ajoutait le lendemain, en termes plus actuels encore aujourd'hui qu'hier : « ...Toutes les entreprises qui ont cherché à isoler l'Europe du reste du monde n'ont tendu qu'à dominer l'Europe pour dominer le monde» (17 février). On renonce ici à citer davantage. * * * Le représentant de la France se gardait de dire que parmi les Etats théoriquement libres, le pouvoir communiste se flattait de poursuivre une œuvre perfide déjà très avancée d'infiltration, de corruption, de subversion, de conquête politique par l'intérieur qui les rendrait, au moins plusieurs d'entre eux, incapables de résister aux savantes manœuvres du despotisme oriental. Ainsi, à propos des gens de Moscou qui s'ingéniaient avec un succès indéniable à torpiller la« Communauté européenne de défense» en associant des nationalistes français aux suiveurs communistes, tout en négociant à Berlin, le Monde du 22 janvier 1954 ne craignait pas de divulguer ce qui suit : « Le jour de l'an a été l'occasion pour l'ambassade soviétique à Paris de reprendre la tradition interrompue des cadeaux aux personnalités : non seulement le ministre des Affaires étrangères, mais les directeurs du Quai d'Orsay et bien des personnalités parisiennes ont reçu, qui du caviar et du champagne rose, qui des livres, qui des reproductions de tableaux ... » Autre exemple, entre cent autres : en pleine conférence de Berlin, la presse publiait ce télégramme de Moscou : « Le gouvernement soviétique a offert hier de passer à l'industrie britannique des commandes pour la livraison, de 1955 à 1957, de 400 millions de livres sterling d'équipement (400 milliards de francs)» (Monde du 6 février). Les occupants du I{remlin ne reculent vraiment devant rien pour circonvenir des négociateurs. Aucun des « Etats libres» présents à l'esprit de Georges Bidault n'est capable d'émulation avec l'Etat soviétique dans cet ordre de choses.
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