QUELQUES LIVRES « scientifique » que le Discours sur l'histoire universelle de Bossuet. Au sens marxien du mot, on dira au moins que c'est fortement « idéologique ». La descente du ciel sur la terre, dite substitution du matérialisme à l'idéalisme, le « renversement de la dialectique » ne changent pas grand-cho5€ au fond. La dialectique, chez Hegel lui-même, connaît d'autres culbutes et l'on peut citer d'autres religions de salut temporel. Avec le « socialisme scientifique » que Marx entendait fonder sur les analyses du Capital,, ce n'est plus la même chose. Le modèle explicite, c'est L'Origine des espèces de Darwin, la méthode explicite, celle des sciences de la nature, malgré des réminiscences hégéliennes qui ne sont plus que des formules de politesse, d'ailleurs justifiées (à propos de Hegel, Marx redit ce que Lessing avait dit de Spinoza : on ne peut tout de même pas le traiter « en chien crevé » et il faut avouer « avoir coqueté »). C'est le rapprochement avec Darwin, souhaité par Marx lui-même, qui permet le mieux, aujourd'hui, de situer la portée scientifique du marxisme. A l'exception peutêtre de feu le R. P. Teilhard de Chardin, personne n'est plus darwinien, au xxr siècle, comme on l'était au temps de Darwin et de Haeckel. Mais, en dépit de Lyssenko, il y a bien un néo-darwinisme florissant dans les sciences biologiques. Pourquoi n'existerait-il pas un néo-marxisme dans les sciences sociales? La logique de l'attitude de M. Althusser devrait l'amener à préconiser un tel néo-marxisme. Mais la robe du docteur scolastique limite le droit de la raison, laquelle ne doit pas outrepasser les bornes de la foi. Et le paradoxe est que notre nouvel exégète, lucide sur plusieurs points, se situe politiquement dans le camp où l'on dénonce le « révisionnisme » ... Oui, pourquoi n'y a-t-il pas un néo-marxisme, attentif à l'évolution de la réalité historique et sociale sans souci de « dogmatisme »? Pourquoi est-ce juste le contraire ? Et d'où vient, après son abandon discret par Marx luimême, le retour offensif du marxisme théologique du jeune Marx, qui n'est plus guère que ce que l'on connaît du marxisme dans les lieux où soufflerait l'Esprit ? M. Althusser est tout près d'avouer que c'est là un des effets négatifs de la révolution russe, qui a institutionnalisé le marxisme au point d'en faire une religion d'Etat. Si le marxisme idéologique a pris le pas sur le marxisme scientifique professé, au temps de la IIe Internationale, par les Kautsky, Hilferding et Rosa Luxembourg, Lénine n'y est pas pour rien. M. Althusser se trouve dans BibliotecaGino Bianco 363 une situation bizarre et inconfortable : soucieux de marquer la « coupure », pour rien a~ monde il ne voudrait pourtant adjurer le dogme du « matérialisme dialectique ». Tout en passant pudiquement (mais révérencieusement) sur Staline, il continue à se réclamer de Lénine, voire de Mao Tsé-toung, inventeur des « contradictions non contradictoires ». Tout au plus, le souci de paraître vêtu selon le goût français du jour le conduit-il à se réclamer de façon assez incongrue du regretté Bachelard, de M. ~1ichel Foucault et du docteur Lacan 1 . Aucun de ces estimables penseurs n'appartient à sa religion et l'un d'entre eux au moins (M. Foucault) la traite avec dédain 2 • Il n'en reste pas moins que l'esprit souffle où il veut : l'ânesse de Balaam prophétisait aussi et, de nos jours, l'Ecole normale supérieure, sous la conduite de M. Althusser, s'en mêle. Force est d'applaudir à quelques vérités qu'on désespérait d'entendre. Quelques vérités, certes, mais pas rien que des vérités. Le marxisme idéologique du jeune Marx, animé d'un souffle théologique ou parathéologique ( « J'ai de la haine pour tous les dieux » ), n'avait rien à voir avec le dogme de la future religion d'Etat. Il est resté, indépendamrr1ent des analyses proprement scientifiques, au fond de l'inspiration morale mise en lumière par Maximilien Rubel, autre « marxologue » de notre connaissance qui est, lui, vraiment à l'écart de toute Eglise. Il ne faut pas non plus calomnier le « jeune Marx » sous prétexte d'instaurer la pureté de la doctrine. M. Althusser se tire de difficulté en se bornant à composer, selon sa propre expression, un « discours sur le discours de Marx », c'est-à-dire en ne faisant œuvre scientifique qu'au deuxième degré, de manière à esquiver soigneusement la confrontation du marxisme classique avec les faits contemporains. Malgré tout, il fait en partie œuvre pie et nous ne pouvons que souhaiter bonne chance à la jeune garde rouge qui a entrepris de consacrer des veillées studieuses à l'analyse logique du Capi- . tal en se réservant, à titre de récréation, le droit d'aller chanter pouilles sous les fenêtres de MM. Aragon et Garaudy : il n'y a plus de respect pour la hiérarchie ... A. P. 1. Cc dernier requis sans doute ù titre d·cxorcistc pour chasser les démons du • jeune l\fnrx •• nu risque d'amener les siens. 2. Dons Les 1,tots et les Jdées (Pnris 1966). on lit : • Le marxisme est dans ln P<'llSt~cdu x1x O siècle comme poisson dans l'eau : c'cst-ù-dirc que partout ailleurs Il cesse de respirer• (p. 274). Pnreil Jugement nous pnrnil d'nillcurs outrancier.
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