Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

362 dédicace du chanoine Copernic. C'est que, malgré tout, une distinction très nette entré la théologie, fondée sur l'autorité des Ecritures, et la philosophie ou les sciences, fondées, dès le Moyen Age, sur un principe de libre dispute, était établie par le thomisme lui-même. On ne trouve rien de tel dans le super-dogmatisme stalinien qui n'a même pas consenti à reconnaître l'autonomie des sciences de la nature (affaires Lyssenko et Kapitsa, diatribes imbéciles contre la physique relativiste et quantique). Ce serait donc faire gratuitement injure à l'ancienne scolastique que de pousser trop loin la comparaison. Nous n'en sommes pas moins convaincu que G. Wetter lui-même. · Quant à la critique portant sur le fond de la doctrine, au lieu d'opposer dans le détail thèses thomistes et thèses marxistes . (ce qui n'eût pas manqué d'être périlleux), le P. Wetter se borne à frapper un coup droit au but. Il fait valoir judicieusement que les dèux éléments constitutifs de la synthèse totalitaire rêvée par Engels sont logiquement incompatibles : le matérialisme (inspiré par les sciences de la nature) et la « dialectique » (procédant de la construction idéaliste de Hegel) se marient comme l'eau et le feu. Par cette voie, on aboutit en effet à un matérialisme spiritualisé, c'està-dire à une sorte d'animisme prélogique où les lois de l' « auto-mouvement » prétendent supplanter les principes de la mécanique. Les amateurs d'idées claires et distinctes peuvent difficilement s'en satisfaire - mais ils ne sont pas tellement nombreux. Cependant il n'est pas nécessaire d'être thomiste pour repousser le confusionisme obscurantiste du « matérialisme dialectique ». Les raisons sont d'ordre strictement intellectuel. AIMÉ PATRI. Marxisme scientifique et marxisme théologique LOUISALTHUSSER: Pour Marx, Paris 1966, Maspero édit., 258 pp. L. ALTHUS ER, J. RANCIÈRE, p. MACHEREY: Lire « Le Capital », tome I; L. ALTHUSSER, E. BALIBAR,R. ESTABLET: Lire « Le Capital », tome II. Paris 1966, Maspero, 256 . et 401 pp. IL N'EST BRUIT dans les milieux pensants· avoisinant le Comité central du P.C.F., où l'on s'occupe aussi des « affaires culturelles », que de la controverse opposant deux docteurs de la foi, MM. Garaudy et Althusser. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Le premier, dont la ve République a fait un professet1:r d'enseignement supérieur, se consacre à des travaux d,'apologétique, et l'autre, préposé depuis la IVe à la formation des jeunes philosophes de la ,rue d'Ulm, est principalement un exégète. A priori, apologétique et exégèse sont des disciplines distinctes ; leurs intérêts ne sont pas tout à fait les mêmes. L'évêque, tranchant de haut en faveur d'une des deux parties (Aragon soutenant Garaudy), et les disciples de l'autre s'en mêlant pour regimber, la dispu te ne va pas sans heurts. On chuchote que les fervents de M. Althusser auraient l'humeur rouge des « jeunes gardes » chinois. Nous avons donc nous aussi un petit ersatz de « révolution culturelle » et il y a lieu d'examiner les fragments des vases brisés.· Nous avons parlé de théologie à propos du marxisme qu'il n'y a pas lieu de confondre nécessairement avec la pensée de Marx puisque ce dernier avait mis en garde là-contre. Sur ce point, les travau~ de l'exégète nous apportent une précieuse confirmation. Orfèvre .en la matière (il a traduit et édité les Manifestes philosophiques de Feuerbach), M. Althusser ne veut plus nous celer l'existence d'une composante de caractère théologique dans la première , pensée de Marx, composante qu'il s'emploie maintenant à dissocier du développement scientifique· ultérieur puisqu'il invite ses disciple à Lire « Le Capital » (pas seulement les préfaces) et à ne plus s'en tenir aux écrits du « jeune Marx », si prestigieux soient-ils. Que le « jeune Marx », dont on connaît la vogue en France, soit encore par ses côtés pathétiques, voire ironiques, un métaphysicien, c'est-à-dire, selon sa propre formule, un « .· théologien déguisé », cela ne fait guère de doute. La para-théologie de Feuerbach et de la gauche hégélienne, c'est encore de la théologie, et chez le premier maître du jeune Marx c'est très explicitement l'annonce d'une nouvelle « religion. cle l'humanité » qui doit succéder au christianisme par l'approfondissement de ses mystères,· selon la formule : Dieu, c'est l'homme aliéné. A cela, la contribution du jeune Marx est, avec le « renversement de la dialectique », la proclamation d'un Rédempteur investi d'une « mission historique » : le · prolétariat. Alors, comme le note très justement l'exégète, la perspective révolutionnaire tient lieu d'une eschatologie ou doctrine des fins dernières. Le communisme, étape finale, surgit dans des lueurs d'apocalypse, ultime dévoilement, ou règlement de comptes, consécutif à la parousie du messie collectif. L'ensemble doctrinal qui en résulte _est à peu près aussi

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