Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

QUELQUES LIVRES marxisme n'est pas un dogme ... », que lorsqu'il s'agit du « marxisme-léninisme »' c'est bien à une « dogmatique » que nous 'avons affaire. Les premiers chapitres du P. Wetter sont consacrés aux sources prérévolutionnaires de la nouvelle idéologie : le marxisme de Marx et d'Engels, le marxisme russe et ses origines non marxiennes, les tendances philosophiques dans le marxisme russe d'avant 1917, les conceptions philosophico-politiques propres à Lénine, tout ce qu'on pourrait appeler, sans jeu de mots, la préhistoire d'une orthodoxie. Les chapitres suivants montrent comment cette orthodoxie, après le coup d'Etat bolchéviste et la mort de Lénine, n'a pu se constituer sans lutte de tendances et réduction consécutive des tendances tenues pour hérésies. Les deux principales de ces hérésies ont été le « mécanicisme » de Boukharine et d'A. Timiriazev, auxquels on reprochait d'être plus matérialistes que dialecticiens, et l' « idéalisme ~nchévisant » de Déborine, . auquel on adressait le reproche inverse. Enfin Staline vint qui, menant la « lutte sur les deux fronts », mit tout le monde d'accord et constitua le dogme sous son égide policière. Sur le plan intellectuel, l'opération fut menée de la même façon que sur le plan proprement politique à l'intérieur du Parti, le génie du Père consistant à frapper à droite et à gauche. Aux conceptions propres à Staline ou à celles qu'il s'est attribuées, le P. Wetter consacre un important chapitre rendu utile par le voile pudique que les autorités soviétiques actuelles tendent à jeter sur tout ce qui concerne le personnage dont le corps a été arraché au mausolée. Il ne faut pas oublier que le « marxisme-léninisme » fut officiellement, pendant tout un temps qui n'est pas encore entièrement révolu, le « marxisme-léninisme-stalinisme », maintenu ultérieurement en Chine avant la récente substitution à ce corps de doctrine d'un « maoïsme » dont la dogmatique, sur plusieurs points, reste encore à préciser 3 • Après cette analyse historique, la seconde partie de l'ouvrage du P. Wetter est consacrée au contenu de la doctrine et à sa discussion. Nous abordons successivement la notion soviétique de la philosophie, la théorie de la matière, la dialectique matérialiste et la doctrine des catégories, peu connue hors des frontières de l'Etat soviétique et de ses satellites sous la forme systématique réclamée par le caractère 3. Nous Ignorons encore le contenu de la • révolution culturelle • qui 1e réclame de 141• pensée de Mao •· On ne sait à quel mode lei écrit• seront lnterprét.!1 par des 1ucce11eurs plus pre11és qu'empre11é1. Biblioteca Gino Bianco 361 dogmatique de l'enseignement et le souci de riv_aliser avec Aristote et Kant. Les positions qui, au temps du stalinisme, ont été surtout d'opposition à l'égard des principaux développements théoriques de la science moderne (physique relativiste et quantique, biologie néo-darwinienne), sont ensuite examinées avec attention. On passe de là à la théorie de la connaissance dont les rapports avec la logique n'ont pas encore été entièrement élucidés par le dogme, en. raison de l'intrusion de la dialectique hégélienne dans le matérialisme de la mort de Lénine et d'un certain oukase de Staline auquel ne souriait pas « la négation de la négation ». Enfin le P. Wetter conclut sur deux remarques importantes dont l'une concerne le caractère « mystique » de la pensée russe sous-jacente à la doctrine révolutionnaire et l'autre le fait que l'Eglise catholique rom~ine a appliqué une méthode semblable (recours constant au principe de l'autorité des Ecritures) à la théologie, mais non à la philosophie. , En effet, la comparaison honnête entre l'esp_ritde l'anci~nne et de la nouvelle scolastique, si elle autorise la constitution d'affinités, ne permet nullement de conclure à une identité celle-ci serait-elle simplement forinelle. Il es{ vrai que depuis le XIIIe siècle le thomisme c'est-à-dire l'aristotélisme chrétien l'a emporté d ' ' au terme un assez rude combat (après avoir été con1amné par la Sorbonne et par l'évêque de Parts dans un amalgame qui englobait to~tes les variétés de l'aristotélisn1e latin), au P,01nt de_rester. jusqu'à -?os jours le seul syst~me_philosophique officiellement favorisé par 1 Eglise. Dans ce système, Aristote jouait un rôle analogue à celui que le marxisme a fait jo':.er à Heg~l ~intégration _d'un philosophe paten dans 1 a~cienne scolastique, d'un philosor~e, bourgeois dans la nouvelle). Mais le pnvtlege reconnu à l'aristotélisme chrétien malgré quelques accidents criminels de bass; époque (assassinat du logicien Pierre la Ramée bû~her de Giordano Bruno 4 , procès de Galilé~ qu un Berthold Brecht, toute honte bue a osé évoquer dans 1~ contexte stalinien), n'a' jamais exclu le pluralisme philosophique et scientifique à l'intérieur du catholicisme : les franciscains ont eu le droit de rester fidèles à leurs docteurs Duns Scot, voire Occam ; les jésuites de répandre, avec Suarez, une version très particulière du thomisme ; Bossuet et Fénelon d'accueillir le c~rtésianisme, etc. - tandis que le pape acceptait, sans y entendre malice, la 4. Dont la philosophie ne taisait guère que reproduire les thè1es du cardinal de Cues, non censuré en son temps.

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