QUELQUES LIVRES cer contre lui ». En fait, les hommes politiques d'Afrique noire ont préféré justifier le système du parti unique en parlant de « négritude », de « personnaü té africaine », de « socialisme africain », comme si, dit l'auteur (p. 40), « le régime de parti unique n'était pas un des lieux communs de notre xxe siècle et comme si on ne le trouvait pas sur presque tous les continents ». Ce régime de parti unique, qui n'a rien de spécifiquement africain, est-il du moins en mesure - comme il s'en targue - de réso1..1dre convenablement les problèmes qui se posent aux jeunes Etats d'Afrique ? Null~- ment, dit l'auteur, qui montre que ce régime ne favorise pas une croissance économique harmonieuse, ne change pas grand-chose aux relations internationales, ne simplifie en rien le problème des relations entre les tribus. Ce régime n'assure même pas la stabilité gouvernementale car, dans des pays où le changement social s'accompagne inévitablement de tension;:;, « il est . impossible d'éliminer l'opposition. Toute la question est de savoir si celle-ci trouvera des voies démocratiques pour s'exprimer pacifiquement, ou si elle sera réduite à une succession d'actes de violence, d'abord contr~ le parti, puis à l'intérieur du parti » (p. 72). Tels sont, dans leur ligne générale, les deux premiers chapitres, qui ont le mérite singulier de ruiner le mythe de !'africanisme, et de ramener les problèmes des jeunes Etats d'Afrique aux lois universelles de la politique. Si ce livre convainc les étudiants d'Afrique noire qu'ils doivent examiner leurs problèmes nationaux à la lumière de l'expérience politique universelle, il aura fait beaucoup pour les mettre sur le bon chemin. Le troisième chapitre est tout différent. Assez étrangement, l'auteur s'efforce d'y reconstruire:. en se fondant sur la sociologie, le mythe dont il a détruit les fondements raciaux. Il avait soutenu que les pays d'Afrique sont comme tous les autres, et il expose maintenant qu'ils ne ressemblent à rien d'autre et requièrent des structures politiques spécifiques. Son point de départ (dont certains éléments se trouvent dans les chapitres précédents), c'est que les sociétés ouest-africaines sont des « sociétés plurales non marxistes » différentes des « sociétés de classes homogènes » qui occupent les autres continents. L'Europe et les nations anglo-saxonnes sont divisées en possédants et non-possédants. L'Asie voit une nouvelle bourgeoisie qui « entreprend de faire table rase des coutumes et des institutions BibliotecaGino Bianco 359 anciennes et lutte contre une aristocratie de longue lignée dont ces institutions favorisent les intérêts » (p. 25). L'Asie et l'Europe sont donc, aux yeux de l'auteur, à deux stades différents du schéma marxiste : là, lutte de la bourgeoisie contre l'aristocratie, et lutte, ici, du prolétariat contre la bourgeoisie. L'auteur ne nie pas que les mêmes catégories sociales existent en Afrique occidentale : les Etats du Nord comprennent une aristocratie et une bourgeoisie~ ceux de la côte « ont une bourgeoisie importante ». Mais i] n'y a, dit-il, de tension violente ni entre l'aristocratie et la bourgeoisie dans le Nord, ni entre la bourgeoisie et le prolétariat dans le Sud. Et dans la mesure où une tension existe entre les classes, elle est beaucoup plus faible que la tension entre les tribus. Le problème politique fondamental, dans toute cette région, c'est le particularisme tribal, et c'est pourquoi l'auteur définit les nouveaux Etats comme des sociétés plurales. Ce particularisme est d'ailleurs à peu près irréductible, dit l'auteur, car « les différences tribales pourraient aisément disparaître si toutes les tribus étaient économiquement égales », mais tel n'est pas le cas : les chutes de pluies sont extrêmement diverses à l'intérieur des frontières d'un même pays, et déterminent, dans ces populations essentiellement agricoles, des niveaux de vie très différents. Tous ces traits conduisent l'auteur à penser que ce qui convient à l'Afrique occidentale, ce n'est pas la démocratie à l'européenne, où une majorité l'emporte et écarte du pouvoir la minorité. Ce serait, en effet, toujours les tribus les plus nombreuses qui détiendraient les leviers de commande, les autres étant exclues de l'espérance même du pouvoir. Système concevable si les plus nombreux étaient aussi les plus riches, mais comn1e c'est d'ordinaire l'inverse, les tribus riches craignent d'être exploitées, et si elles ne peuvent accéder légalement au pouvoir, elles sont tentées par le recours à la force. W. Arthur Lewis se prononce donc pour le fédéralisme, la représentation proportionnelle et les gouvernements de coalition. Ces conclusions sont sans doute défendables et l'avis d'un connaisseur éclairé et désin téressé a certes un grand poids, mais était-il besoin d'y parvenir par des voies aussi contes tables ? Les distinctions sociologiques de l'auteur ne sont nullement convaincantes. Si, en Europe, les partis politiques représentaient des classes nettement circonscrites, la démocratie ne serait pas viable. En fait, la simplification marxiste est aussi fausse en Europe qu'en
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