358 de leur voir adopter des structures plus saines que celles qui leur ont, jusqu'ici, valu tant de déboires. Il est .beau de voir un professeur en appeler des passions et de la confusion qui règnent dans la génération gouvernante à la raison et à la foi de la génération enseignée. Il est beau de voir un professeur fonder ses espoirs sur la génération à qui il dispense ses leçons. Ne doit-on pas discerner là, cependant, la manifestation d'un idéalisme plus répandu dans les salles de cours des universités que dans les couloirs des parlements et des ministères ? Certes. Mais ce qui est singulier, c'est que M. W. Arthur Lewis n'est nullement un idéaliste perdu dans les sentiments et les abstractions. Il est même le contraire d'un idéaliste. Dans les deux premiers chapitres de son livre - qui en comprend trois - l'auteur fait preuve d'une rigueur et d'une lucidité proprement machiavéliennes. Sa description critique de la vie politique des treize Etats indépendants (en 1965) de l'Afrique occidentale est une synthèse brillante, dont on retiendra ici quelques traits fondamentaux. Le problème central de la politique africaine, c'est le parti unique. Au moment qu'ils :' sont devenus indépendants, tous ces Etats - hormis la Côte-d'Ivoire - comptaient deux ou trois, voire quatre partis, et l'un d'eux jusqu'à six. Mais bientôt, partout, l'un des partis a absorbé ou éliminé les autres, et un chef s'est imposé, qui a interdit toute critique comme toute opposition. Cette situation ~ généralement r:eçu une explication fort simple, voire simpliste : si' les Noirs se gouvernent autrement que les Blancs, c'est qu'ils sont différents des Blancs. C'est là un thème qui peut être présenté sur le mode aimable, par les amis des Noirs, ou même avec orgueil par les Noirs eux-mêmes. Mais il peut aussi revêtir un aspect déplaisant, et il y a sans doute des gens pour penser que les Noirs ne sont pas capables - ne sont peut-être pas dignes - de jouir des bienfaits de la démocratie. L'auteur ne cesse guère d'avoir en tête ces diverses façons de penser. Et ce sont elles que, souvent sans même les mentionner, il s'attache à réfuter. Le principe de sa réflexion est d'ailleurs formulé avec une admirable clarté (p. 41) : « La seule méthode de pensée féconde, quand il s'agit du peuple africain, consiste à le considérer, d'une part comme aussi divers que le reste de l'humanité, et d'autre part comme exactement semblable au reste de BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL l'humanité. » Ces deux propositions sont étroi- . tement _complémentaires. Dire que les Noir~ ont en commun des traits particuliers, ce serait les isoler du reste de l'humanité. Si au contraire ils n'offrent pas de traits particuliers, ils participent nécessairement de la diversité habîtuelle de l'humanité, mais participent aussi des traits qui sont universels dans l'humanité. Sans doute ne pourrait-on mieux formuler k: principe de toute pensée non raciste, de quelque population· qu'il s'agisse - car cette règle de la réflexion p.e vaut évidemment pas pout le seul « peuple africain ». Les constantes de l'humanité en ce qui concerne la politique, l'auteur les énonce avec non moins de clarté : « Dans la plus grande partie du monde actuel et dans tout le cours de l'histoire, écrit-il p. 37, la politique n'est e1. n'a jamais été autre chose qu'une lutte personnelle pour 1~pouvoir entre les hommes avides d'une puissance qu'ils mettront au service de leurs propres fins. » D'où cette conséquence (pp. 74-75) : « Un bon système politique part du principe que les hommes politiques sont des hommes comme les autres· et il tend, par les contraintes qu'il impose, à faire en sorte que les politiciens ne puissent réaliser leurs ambitions personnelles qu'en servant le pu-- blic. » Si donc quelques-uns relèvent dans les nouveaux Etats d'Afrique la concussion et la tyrannie des dirigeants, et le consentement passif de la population à leurs excès, il est aisé à l'auteur de faire observer qu'il n'y a rien là qui soit particulier à l'Afrique. Et s'il prend pour termes de comparaison ces bosses des villes américaines du XIXe siècle, qui « firent la honte d'une grande démocratie par leur corruption et leur puissance arbitraire », ou la résignation du peuple allemand dominé par les nazis, on peut imaginer qu'il n'a choisi ces exemples que pour leur caractère outrancier, car ·nous savons bien que la prévarication et l'abus de pouvoir chez ceux qui détiennent quelque pouvoir, aussi bien qu'une certaine résignation chez les gouvernés, sont de tous les temps et de tous les pays. Pour limiter ces maux, on ne connaît guère que la démocratie moderne, avec, en face du pouvoir, - une opposition exerçant librement son droit de contrôle et de critique. Mais,. dit l'auteur (p. 34 ), un tel régime « est un phénomène très récent dans l'histoire du monde, si récent qu'il aurait été peut-être plus surprenant de voir les politiciens ouest-africains adopter ce système que de .les voir se pronon-
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