QUELQUES LIVRES les quatre cinquièmes de la population. En instaurant la nep (nouvelle politique économique), le bolchévisme rétablit un certain marché, permit aux paysans de vendre leurs produits et désétatisa une partie de l'industrie et du commerce. C'est dans cette économie mixte que la « compétition pacifique » (le terme est assez récent si la chose ne l'est pas) devait, selon le Parti, aboutir à la prévalence graduelle du secteur collectif, que les illusions d'alors paraient de toutes les vertus, sur le secteur privé dont une faible partie seulement était capitaliste. Ces espérances ne tardèrent pas à s'évanouir : dès 1923-24, il s'avéra que le secteur collectif n'était pas en mesure d 'affronter le secteur privé, que celui-ci se développait plus vite que celui-là et que la compétition pacifique risquait de tourner à l'avantage de l' « adversaire de .classe », dont la suprématie économique menaçait, tôt ou tard, de se traduire par un renversement politique correspondant. C'est dans ces conditions que Préobrajenski conçut son· ouvrage. * * * La Nouvelle Economique se présente ainsi comme l'analyse marxiste d'un système issu d'un péché originel commis contre l'esprit non moins marxiste. Dans cette symbiose de deux structures économico-sociales, Préobrajenski constate avec raison l'opposition entre deux régulateurs : la loi de la valeur, quintessence du capitalisme, et le principe de planification, caractéristique des objectifs socialistes 2 • La loi de la valeur aboutira, si on la laisse jouer librement, à la restauration du capitalisme. Aussi faut-il en contrarier l'action par le développement et le perfectionnement de la planification, dont le secteur étatique est le centre moteur. Cette proposition est évidemment la conséquence directe du péché originel : un secteur collectivisé, à l'apogée du développement capitaliste, et pouvant se prévaloir d'une productivité exemplaire, n'aurait nullement besoin de se soustraire à la loi de la valeur ; c'est au contraire grâce à elle qu'il affirmerait le mieux sa supériorité puisqu'il produirait moins cher et mieux que ses concurrents capitalistes. Tel était l'avis de Marx et d'Engels comme de tous leurs disciples de renom. Seuls les faibles ont à redouter la concurrence, c'est-à-dire la loi de la valeur. 2. Notons en passant que cet le opposition s'observe aujourd'hui dans tous les pays évolué!:ld'Occident, sans cependant que ces deux facteurs soient liés plus spécialement à telle ou telle classe soclale. Biblioteca Gino Bianco 355 Préobrajenski était assez averti pour se rendre compte de l'infériorité du secteur collectif dans l'économie soviétique d'alors. Il parle d'une « lutte désespérée » (p. 79), de la nécessité « d'atteindre la technique capitaliste contemporaine » (p. 132). « La notion vulgaire selon laquelle la forme socialiste l'emporte sur la forme capitaliste dans la lutte concurrentielle dès la première période de son existence, ( ... ) constitue une analogie grossière, superficielle » (p. 183). « Il manque aux entreprises d'Etat cette chose importante que possédaient les entreprises capitalistes en lutte avec l'artisanat : elles n'ont pas de supériorité économique et technique individuelle sur les entreprises de la forme historiquement inférieure » (p. 185). D'où cette conclusion impérative (p. 189) : « limitation ou même suppression de la libre concurrence, utilisation à plein des avantages du monopole d'Etat, lutte menée par le complexe unique de l'économie d'Etat, et combinaison des moyens économique et politiques » [c'est nous qui soulignons]. Autrement dit, il faut « corriger la fortune » en faveur du secteur étatique qui n'est pas à la ·hauteur de sa tâche. Tout cela contre le secteur privé à l'intérieur de !'U.R.S.S., bardée de son monopole du commerce extérieur ! La situation est évidemment pire en face du capitalisme extérieur, occidental : « Les produits de notre industrie sont dans leur immense majorité plus chers et moins bons que les produits étrangers » (p. 185). Ces lignes ont été écrites il y a quarante ans. Elles sont toujours vraies aujourd'hui, tous les spécialistes - et même les responsables soviétiques - en conviennent. Les méthodes de l' « accumulation socialiste primitive », recommandées par Préobrajenski et mises en œuvre par Staline avec l'approbation (après coup) de Préobrajenski, n'ont donc point donné les résultats escomptés : les produits soviétiques restent plus chers et moins bons que les produits capitalistes. * * * « L'accumulation socialiste primitive » - telle est la thèse centrale de l'ouvrage examiné ici. En concevant cette idée, qui n'est pas une formule à l'emporte-pièce, l'auteur consomme sans le savoir sa rupture définitive avec le marxisme. A partir du moment où l'on veut instaurer un semblant de socialisme dans un pays où le capitalisme (et les travailleurs) n'a pas atteint la maturité requise, on doit assumer des tâches qui incombent historiquement au capitalisme.
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