Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

,. QUELQUES LIVRES Lüthy, le savant historien de La Banque protestante en France, de la révocation de l'Edit de Nantes à la Révolution, dans les premiers chapitres de son Passé présent (Ed. du Rocher, collection « Preuves » ). Aux yeux de M. Lüthy ce n'est pas la prédestination qui a poussé, positivement, ]es calvinistes dans les voies du capitalisme, c'est la Contre-Réforme, négativement, qui a freiné l'évolution des pays catholiques vers l'économie moderne. On pourrait chercher chicane à M. Lüthy sur des points précis (une intéressante controverse s'est développée, à la suite de son livre, dans ]a revue Preuves, n°5 163, 165 et 166). Il ne fournit ni démonstration ni analyse, · psychologique ou autre, du rôle de frein qu'il prête à la Contre-Réforme, qui soit comparable aux analyses de Weber. L'affirmation qu'elle supprimait « ce minimum vital de liberté » sans lequel une société ne peut produire de « pionniers intellectuels » (p. 43) se heurte à des noms comme ceux de Torricelli, de Cavalieri, sans lesquels le rôle scientifique de Pascal serait bien restreint ; et la floraison de l'art baroque empêche de conclure à la stérilité s,irituelle de la Contre-Réforme. Mais si la lecture consécutive des deux ouvrages ne suffit pas à faire douter, à notre sens, de l'essentiel de la thèse de Weber, l'apport de M. Lüthy n'en est pas moins précieux sur plusieurs points connexes d'histoire sociale et religieuse 2 • On retiendra sa mise au point sur Calvin et le prêt à intérêt, et maintes observations sur la psychologie du calvinisme ou les origines du capitalisme bancaire qui, finalement, commentent et nuancent Weber! plus qu'elles ne le contredisent. Ce n'est pas que Weber lui-même manquât de finesse. On serait plutôt tenté de penser~ malgré les discussions théoriques sur sa fameuse 2. M. Lüthy donne une explication très weberienne de l'extinction de la mendicité par les calvinistes (pp. 64 sqq.). Insistant sur l'influence de l'Ancien Testament, il trace un beau portrait du Réformé au xv1• siècle (pp. 48-49). Toutefois il conteste les conséquences que Weber assigne à la prédestina lion. Il insiste, d'autre part, sur le fait qu'au xv1• siècle le calvinisme n'est pas une idéologie de classe. Sur tous ces points, il y a des indications de Lucien Febvre (notamment un beau passage sur la prédestination dans Au cœur religieux du XVI• siècle, p. 266), mals, après avoir écrit un peu dédaigneusement : • Je n'ignore pas Max Weber •, il esquive le débat dans sa mise au point sur Capitalisme et Réforme (Pour une histoire à part entiêre), pp. 350-366. Excellente observation de M. Lüthy sur le caractère de mouvement de • seconde génération • (p. 55) du calvinisme. En revanche, quand il paratt voir dans l'adof tion par ce~ tains peuples de la Réf orme et du capitalisme 1 effet de traits de caractère préexistants chez ces peuples, on lut opposera la brillante démonstration de Weber - très heureux dans ses observations sur les caractères nationaux - sur la transformation morale de l'Angleterre au xvn• siècle, ressentie par les contemporains mêmes, tel Shakespeare dont on connatt .a haine contre les puritains. Biblioteca Gino Bianco 353 méthode des « types idéaux », que sa façon de procéder est plus littéraire que scientifique. Et comment, sur pareil sujet, l'intuition littéraire n'aurait-elle pas sa place? Quand Voltaire, bon connaisseur de la société britannique, en trace dans · les Lettres philosophiques un tableau enthousiaste dont la figure centrale est le commerçant capitaliste, il sent si bien la connexion qui sera établie par Weber que son reportage _socials'ouvre par quatre lettres sur les quakers, et se clôt par une réfutation de Pascal. L'homme Weber n'est pas moins attachant que l'œuvre. Bien que Raymond Aron l'ait fait connaître avant 1939, il a fallu attendre son centenaire,.-en 1964, pour que le public français se familiarise un peu avec lui. On a eu raison de réunir et de traduire ses deux essais sur Le Savant et le politique (Pion, 1959, réédité dans la collection 10-18) : Weber a été un savant. constamment tenté d'être un politique. Impérialiste (d'abord antipolonais, puis propolonais - par crainte de la Russie), parlementari_ste, critique sévère de son empereur par attente déçue, Weber se décidait beaucoup par humeur 8 • Il avait conscience, écrivant L'Ethique protestante, de travailler directement contre l'explication matérialiste de l'histoire ; mais ses scrupules de savant le rendaient sans préjugés à l'égard des socialistes, et il cite Bernstein avec éloge. Son attention aux détails quotidiens, son œil aigu d'observateur marq~ent mainte page de L'Ethique protestante, avec des notes d'humour. Au total, un beau type de savant, patriote, libéral, passionné dé vérité - ce que l'Allemagne wilhelminienne a produit de meilleur. On trouvera un bon résumé des conceptions scientifiques de Weber dans La Sociologie de Max \\7 eber, de Julien Freund. Le plan du livre est très complet et détaillé, mais l'exposé très succinct, comme il convient dans une collection pédagogique. On y verra très commodément expliqués les grands outils de la pensée \veberienne : méthode « idéaltypique », distinction des trois pouvoirs (légal, traditionnel, charismatique), etc. Au début d'une somme si méthodiquement classée, il est d'autant plus frappant de lire que Weber lui-même se gardait bien d'organiser ses idées en système, et cela 3. Cela explique sans doute le Jugement péjoratif porté sur lut par le professeur Meyer Schaplro, dans un article qu•a reproduit le Contrat Social (mat-Juin 1964). Notre revue a aussi publié (mars et mai 1960) une étude de Richard Pipes sur l'évolution (typique) des idées de Weber sur la Russie, ainsi que de larges extraits de la préface de Raymond Aron pour Le Savant et le politique (man 1959) .

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