Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

QUELQUES LIVRES Mieux vaut tard... MAx WEBER: L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme, suivi d'un autre essai. Traduit de l'allemand par Jacques Chavy. Paris 1964, Libr. Plon (coll. « Recherches en sciences humaines »), 321-pp. RENDRECOMPTEen 1966 d'un livre de cette importance paru en Allemagne en 1904, c'est prendre conscience de la paresse de l'édition" française au cours du demi-siècle écoulé, pendant lequel Cassirer, Panofsky, Heidegger ou Wolfflin n'ont pas été mieux traités que Max Weber. Aujourd'hui l'on met les bouchées doubles, mais le mal est fait, soit que les traductions viennent après que les idées ont marché - c'est le cas pour W. Jager, - soit parce que tout le monde croit déjà savoir ce qu'il y a dans le texte qu'on n'a pas traduit, et c'est le cas du maître livre de Weber, très connu, mais plus souvent encore déformé. On croit souvent que Weber se fonde sur le prêt à intérêt, interdit par l'Eglise catholique, toléré par Calvin. Or, de cette question, très- complexe d'ailleurs, Weber ne dit pas un mot. Sa démonstration se fonde· sur la notion de Beruf (métier, vocation, devoir d'état) et surtout sur les conséquences de la prédestination calvinienne. Selon lui, le calviniste, privé de la soupape de la confession, se voit psychologiquement contraint de surveiller constamment sa conduite et d'organiser systématiquement sa vie pour la plus grande gloire de Dieu. L' asc~tisme sort du cloître 1 et domine la vie_séculière des puritains. Leur discipline de vie les rend merveil1 1. On comprend la haine de Rabelais contre Calvin - Rabelais qui était sorti du couvent et · pour qui • la plus grande resverie du monde estoit soy gouverner au son d'une cloche ,. La question des cloches ,n'a pas échappé à Weber (p. 205, note 14). · BibliotecaGino B1anco leusement aptes au rôle de producteurs économiques ; leur frugalité ascétique les empêche de dissiper les bénéfices, qui deviennent des capitaux disponibles pour l'investissement. Ainsi s'explique l'essor économique des Pays-Bas, de la Grande-Bretagne, de la Nouvelle-Angleterre, tous pays fécondés par la Réforme de Calvin. Le respect qu'impose l'ouvrage tient à la façon dont Weber domine la masse des faits dans un domaine aussi subtil et confus. Un tel ~ivre, assurément, n'aurait pu être écrit par un Français ·: il y fallait une connaissance intime des ,visages divers du protestantisme, que ne permet guère chez nous la tradition classique et louis-quatorzienne. Le livre n'est pas exempt non plus de lourdeur, à cause des notes très érudites, à cause aussi des scrupules néo-kantiens qui poussent l'auteur à s'entourer de précautions et de restrictions, et l'on comprend pourquoi les intellectuels français de ces années, forts d'une tradition académique de clarté à peu près disparue maintenant, se plaignaient des fumées du style germanique. Mais ces scrupule~ de Weber imposent d'autant plus le respect que la tentation était pressante de systématis~r sa thèse. Fort d'un principe universel · d'explication, il se retient de bondir sur les applications douteuses. En général, cependant, les détails viennent se mettre en place comme il faut, et la fascination du livre tient à la façon dont une théorie tout abstraite rend compte sans grandes bavures d'un ensemble impressionnant de faits extrêmement complexes, dont aucun n'est bousculé, chacun au contraire étant traité avec respect, considéré sous .toutes ses faces, manié dans les notes comme on fait de bibelots d'étagère qu'on prend un à un pour les épousseter. ' ·. La thèse a subi bien des critiques. La plus récente, croyons-nous, est celle de M. Herbert

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