C. HARMEL Grâce à la propagande, une propagande qui ne serait pas nécessairement mensongère, on ferait du plan la chose de tous. On en obséderait les esprits. On montrerait qu'il sert l'intérêt de chacun et celui de tout le monde. On exalterait l'esprit civique en faisant de la réalisation du plan un devoir national, la meilleure façon de servir consciemment le bien commun. Bref, il y aurait un héroïsme du plan comme il y a un héroïsme de la défense nationale et un héroïsme de la révolution. On irait à l'atelier comme on va à la tranchée ou à la barricade. Il est vrai, en dépit des sceptiques et des railleurs, que les hommes peuvent être ainsi mobilisés pour de grandes tâches collectives et il est nécessaire qu'ils le soient de temps à autre si l'on veut qu'ils continuent à se sentir une nation, un peuple, qu'ils conservent la conscience de leur appartenance à cet être collectif qu'est la patrie. Seulement, une telle mobilisation ne peut pas être de tous les instants. Elle ne peut pas durer tou tè une vie. Elle doit conserver un caractère exceptionnel, sous peine de devenir aussi fastidieuse, abrutissante, oppressive et finalement révoltante qu'un service militaire qui durerait trop longtemps. On ne peut pas toujours construire des cathédrales ; on ne peut pas toujours faire la révolution. Tous les hommes ne peuvent pas constamment vivre comme des missionnaires. Il faut leur permettre de passer la plus grande partie de leur existence sur un plan moins élevé peut-être, où ils jouiront de joies plus humbles, plus prosaïques, mais précieuses elles aussi pourtant. C'est précisément parce qu'ils vivront le plus souvent sur ce plan qu'ils seront plus sensibles aux grandes émotions collectives, quand cellesci viendont à éclater. BibliotecaGino Bianco 351 On paraît professer une philosophie pessimiste quand on rejette ainsi l'idée qu'on pourrait faire travailler quotidiennement les hommes à une besogne productrice en faisant appel à leur sens civique, quand on nie que l'on puisse fabriquer toute sa vie des armoires, des boutons ou des moteurs, simplement pour l'amour de la patrie ou de l'humanité. Ce pessimisme est vrai pourtant. Qui pense autrement n'aime point l'homme, quoi qu'il dise, mais un être idéalisé, une abstraction qui n'est pas l'homme. Cet idéalisme-là, il faut le craindre, il faut le fuir. Quand, par malheur, il arrive à des idéalistes de ce type-là d'être au pouvoir, s'ils sont assez têtus pour ne pas céder devant l'expérience, ils donnent à l'histoire ses despotes les plus féroces. Mécontents de voir que les hommes s'adaptent mal au système qu'ils ont conçu, ils incriminent non le système, mais les hommes. Ils ne cherchent pas à transformer le système, mais l'homme. Sans doute cela fait-il très bien de dire qu'on va transformer l'homme, qu'on va en faire quelque chose de mieux que ce qu'il est présentement. Mais, pour reprendre le mot de Pascal, en voulant en faire un ange, ne va-t-on pas en faire une bête ou un monstre ? Qui ne songe au brigand de la légende athénienne, l'illustre Procuste, qui couchait ses prisonniers sur un lit de fer, étirait ceux qui étaient trop petits pour qu'ils touchent à la fois le chevet et le pied du lit, coupait les pieds de ceux qui étaient trop grands ? Est-ce que, sous prétexte de démocratie, certains ne voudraient pas faire de la planification un nouveau lit de Procuste ? CLAUDE HARMEL.
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