350 socialiste, sur ce point abusée, l'économie de · rnarché est une économie où l'on produit pour l'homme. Certes, on produit pour l'homme par le détour du profit, mais, pour gagner de l'argent, le producteur, le commerçant doivent trouver des clients, les disputer aux concurrents, tenter de les satisfaire par la nouveauté, la qualité ou le prix, aller quelquefois au-devant de leurs désirs. Ils doivent se mettre au service des acheteurs, au service de l'homme, des hommes concrets, ce qui veut dire avant tout divers, changeants aussi, et encore déraisonnables, prompts à préférer l'agréable à l'utile, le superflu au nécessaire. Au contraire, les planificateurs déterminent les objectifs de production en fonction d'un homme abstrait, c'est-à-dire simplifié, immuable, ou bien lentement changeant, un homme raisonnable, ou encore, si l'on ose ainsi parler, moral, de cette morale.ménagère qui veut qu'on hiérarchise raisonnablement ses besoins et qu'on ne cherche point à satisfaire ceux qui viennent au troisième rang des urgences avant ceux qui viennent au second. Et sans doute les planificateurs ont-ils raison en partie lorsqu'ils agissent de la sorte : il est utile que, quelque part, quelqu'un veille à ne pas laisser se développer les industries de luxe au détriment de celles qui travaillent plus prosaïquement (et à moindre profit) pour la satisfaction des besoins élémentaires. Mais est-il nécessaire de souligner combien deviendraient vite despotiques cette production et ce commerce qui ne connaîtraient que l'homme abstrait, l'homme théorique des planificateurs ? Au :xxe Congrès du parti communiste soviétique, en 1956, Khrouchtchev tenait c~s propos : La pleine satisfaction des besoins de tous les Soviétiques en nourriture, logements et vêtements, dans les limites du raisonnable et du nécessaire, pourra sans doute être assurée dans un proche avenir. Il ne faut pas. tellement de temps, par exemple, pour délivrer gratuitement aux écoliers petits déjeuners et déjeuners, placer tous les enfants dans des jardins d'enfants, des crèches et des écoles-internats entretenus entièrement aux frais de la société. Quant à la population adulte, il faut tenir compte de ce que les besoins des hommes en moyens d'existence ne sont pas illimités. L'homme ne peut pas consommer plus de pain et d'autres denrées qu'il n'en faut à son organisme. Il y a aussi certaine limites en ce qui concerne les besoins en vêtements et en logements. Certes, quand on parle de la satisfaction des besoins, il ne s'agit pas des caprices ou des objets de luxe, mais 1 des besoins normaux d'un homme cultivé ( Cahiers du communisme, supplément au numéro de février 1959, p. 86) . . . Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES Apparemment, c'est le bon sens même. A y regarder de plus près, de telles réflexions sont lourdes· de menaces. Qui déterminera les limites .« normales » des besoins humains ? Qui dira ce qui est « caprice », ce qui est « luxe » ? N'est-il pas significatif que Khrouchtchev ait jugé que la satisfaction complète des besoins de la population enfantine et adolescente pourrait être assurée grâce aux crèches, aux écolesinternats ? C'est dire assez clairement que les adultes devraient être soumis à un régime analogue. On planifiera les besoins et, pour .cela, on collectivisera tout ce qu'il y a d'économique dans la vie privée : logement, nou~iture; vêtements, etc. Peut-on concevoir plus insupportable despotisme ? Ainsi, qu'on se place au point de vue du consommateur ou à celui du producteur, la planification apparaît comme le tombeau des libertés. On a le droit de penser qu'il n'existe pas un lien aussi étroit que le professe le matérialisme historique entre la structure économique des sociétés et leurs institutions politiques. Il n'empêche qu'avec Marx on ne peut tenir pour le fruit du hasard le fait que, dans l'his- ~oire, les régimes où les individus ont joui des plus grandes libertés personnelles et politiques, à savoir les démocraties parlementaires, se sont développées, épanouies en même temps que l'économie de marché, que l'économie industrielle et commerçante. L'économie planifiée qui, dans son idée et à son terme, est une économie sans marché, ne .saurait manquer d'engendrer des régimes de contrain te et de servitude. Le « mythe » du plan 0 : ( i. LES PREMIERSPLANISTESétaient sans doute .moins çonfiants que les adeptes de la « planification démocratique » dans les vertus que pourrait avoir la participation des travailleurs à l'élaboration du plan, dans le sentiment qu'elle leur donnerait d'être leurs propres maîtres, ce qui les inciterait à accomplir leur tâche dans la joie et l'enthousiasme. Henri de Man, à qui il faut toujours revenir quand on parle de planification, cherchait en effet de tout autres m0yens pour intéresser les producteurs au plan. De celui-ci, il voulait faire un mythe, au sens que Georges Sorel donnait à ce mot quand il parlait du mythe de la grève générale, une grande idée chargée d'espérance et permettant de mobiliser les masses.
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