Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

C. HARMEL trie de produits de consommation (mais alors on doit enlever à l'industrie lourde une part des moyens financiers, des matières premières, des machines et de la main-d'œuvre qui lui étaient d'abord attribués), soit d'imposer aux ouvriers de l'industrie lourde un niveau de vie très bas, si bas qu'ils ne pourront l'accepter que sous la contrainte politique et policière. On sait quel choix !'U.R.S.S. a fait sous Staline et, malgré d'évidentes améliorations, elle n'y a pas encore tout à fait renoncé. Cette espèce de contradiction entre le « rationnel » et le « vital » peut être décrite de façon paradoxale. Rationnellement, si l'on veut construire une maison, il faut d'abord fabriquer des briques. Mais dans la vie, les choses ne vont ainsi qu'en apparence. En réalité, il faut d'abord, sinon construire la maison, du moins vouloir la construire. A partir du moment où le projet de la maison est arrêté, mis en œuvre, les moyens financiers réunis, on trouvera les briques nécessaires ou bien on les fabriquera. A procéder autrement, on risque de fabriquer des briques qui ne deviendront jamais maison, . . ' . qui ne serviront a rien. La raison a tendance à décomposer les circuits et les processus économiques en une série d'opérations successives, à demander qu'il soit procédé à chaque opération dans l'ordre, en commençant par le commencement. La méthode qu'on pourrait dire « vitale » a un caractère global. On commence par la fin, ou, à tout le moins, on fait tout à la fois. Cela suppose évidemment que l'impulsion économique vienne du « demandeur de maison », non du statisticien qui aura déterminé par ses calculs les besoins en maisons, c'est-à-dire, au préalable, en briques. * ** Admettons que la raison planificatrice soit assez souple pour se défaire de ces préjugés logiques et idéologiques. Il reste qu'elle ne sera jamais capable d'embrasser dans sa complexité minutieuse la totalité des besoins des hommes. Descartes affirmait (quatrième précepte de sa méthode) qu'il est nécessaire, si l'on veut juger et conclure de façon évidente, « de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que [l'on soit ] assuré de ne rien omettre ». En ce qui les concerne, les planificateurs devraient procéder à des dénombrements et à BibliotecaGino Bianco 349 des revues de ce genre, mais il est tout aussi impossible d'y parvenir en matière de besoins économiques que dans le domaine de la connaissance. Seule l'initiative productrice qui se situe au niveau du besoin, à son contact, si l'on peut ainsi s'exprimer, seu]e cette initiative qui naît en quelque sorte du besoin lui-même, que le besoin provoque, peut épouser la diversité des besoins, et satisfaire, essayer de satisfaire en tout cas, ceux qui n'ont aucune chance d'émouvoir le sommet de la hiérarchie planificatrice. C'est une denrée des plus rares que les lames de rasoir en Union soviétique. Longtemps, les femmes russes n'ont pas trouvé d'autre rouge à lèvres que celui qui se fabriquait clandestinement et, s'ils ne veulent pas blesser leurs clients, c'est au marché nqir que les coiffeurs sont obligés de se fournir en tondeuses et . ciseaux. L'aptitude de l'économie libre à calquer la production sur les besoins est loin d'être sans défaillance. En d'importants secteurs, elle s'avère insuffisante. En France, tel est le cas, en partie, du bâtiment. Tel est le cas, en partie également, des régions qui s'endorment. Là, l'intervention de l'Etat est nécessaire pour provoquer la production et créer artificiellement les conditiens qui rendront possible le retour à une activité économique « naturelle ». Cependant il est indubitable que l'économie de libre entreprise est infiniment plus apte à répondre aux sollicitations de la demande, aux désirs des consommateurs, que l'économie d'Etat. La planification substitue, comme objet de l'activité économique, des besoins abstraitement définis à des besoins concrets. Ce n'est plus la demande qui provoque la production, mais ce que les statisticiens et le pouvoir ont cru bon de retenir de cette demande, la définition qu'ils en donnent. Une économie planifiée est une économie où les consommateurs ne jouent aucun rôle. Les défenseurs de l'économie libre disent familièrement que, dans ce système, « c'est le client qui commande », et cette formule s'entend plus souvent encore au niveau des entreprises. Elle n'est pas d'une vérité absolue et, bien souvent (notamment dans les secteurs où règnent les monopoles de fait, mais alors, si l'économie est toujours « capitaliste », elle n'est plus libre ni libérale, elle n'est plus une économie de marché), les consommateurs sont obligés de passer sous les fourches caudines des commerçants ou des usiniers. En gros pourtant la formule est juste et c'est pourquoi, en dépit de tout ce qu'affirme la propagande

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