348 qu'on aura fait semblant de leur remettre. Il ·n'est même pas certain qu'ils conservent entière liberté d'organiser leur travail dans les limites du plan de production imposé. L'exemple so~iétique fournit la preuve que ce danger existe. La « démocratisation » de l'élaboration du plan n'est donc pas une garantie de l'émancipation économique des travailleurs, l'assurance qu'ils participeront, en fait, à l'orgap.isation de leur travail, à la gestion de leur entreprise. Pour qu'ils aient et le sentiment de cette participation et sa réalité, il faudrait que l'entreprise qu'ils dirigent fût libre. Or la « planification démocratique » supprime la liberté des entreprises. Allons au fond des choses : la « planification démocratique » relève d'une conception moniste de la société (pour ne pas user du terme de totalitaire qui n'a plus guère qu'une acception péjorative), l'Etat et la société constituant deux aspects de la même réalité. L'un est en quelque sorte l'âme de l'autre, ou plus exactement - parler d'âme évoquant une conception dualiste - l'un étant l'autre lui-même parvenu ·à la conscience de soi, l'Etat ayant de ce fait le droit d'imposer sans limite sa volonté à la société puisqu'elle est celle de la société elle- " meme. Au contraire, dès qu'on parle de planification « souple », « indicative », dont les moyens sont « indirects », on revient à une philosophie politique et sociale dont l'idée fondamentale est la dualité de fait de la société et de l'Etat, la société étant elle-même complexe, diverse, et cela presque jusqu'à l'incohérence, ce qui justifie l'existence de l'Etat, mais non l'accaparement par celui-ci de toutes les fonctions de la société. A supposer qu'elle ait pu se constituer sans lui, toute société vaste serait vouée au ·désordre s'il n'existait pas un Etat, non pas créateur, mais démiurge de l'ordre, de l'unité, dans son chaos. Il est là pour, entre autres choses, tenter d'orienter les impulsions venues des individus et des groupes, leurs initiatives, leurs entreprises, afin de les faire servir toutes, peu ou prou, au bien commun; afin, en tout cas, de les empêcher de nuire à ce bien commun. Toutefois, si loin qu'il aille dans le gouvernement de la société, l'Etat se tient en dehors ou au- · dessus, sans permettre qu'on empiète sur son autorité, mais sans se permettre de substituer vraiment sa volonté à celle des individus et des groupes : les empêcher de faire ce qui serait nuisible à l'ensemble de la société (ou à autrui) BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHfs et les inciter à faire ce qui lui serait bon, c'est limiter leur liberté d'agir, ce n'est pas vraiment substituer à leur volonté une volonté étrangère. Planification de la consommation LA PLANIFICATION de la production risque donc de faire disparaître ou d'affaiblir l'élan producteur, mais elle supprime également, ou tend à supprimer, un autre moteur, lui aussi capital, de la production et de la circulation des marchandises : la sollicitation des consommateurs. Pas de planification de la production, en effet, s'il n'y a en même temps planification de la consommation, de la demande ·des con.-. sommateurs : l'une entraîne l'autre. Et cette seconde planification, qui fait peser une menace supplémentaire de ralentissement sur l'activité économique, constitue de surcroît une nouvelle source de contrainte et de despotisme. · On se trouve ici en présence de l'antagonisme entre le « rationnel » et le « vital », pour parler comme Bergson, d'un antagonisme entre ]a rationalité du plan et le caractère mouvant et complexe de la vie elle-même. . Quelle que soit la façon dont il sera élaboré, le plan présentera le caractère d'une construction rationnelle, logique. Aux différents échelons, les directives fixées obéiront à un certain nombre de raisons entièrement justifiables. On aura procédé à des choix. On aura repous5é certains objectifs, on en aura élu d'autres, et, dans les deux cas, on aura agi de façon parfaitement compréhensible, compte tenu des conceptions régnantes de l'intérêt général, ou de la notion qu'on a des nécessités de l'heure, ou encore de la philosophie qui a cours. Cette intervention de la· raison et de la logique dans l'activité économique, pour nécessaire qu'~lle soit, comporte des dangers, à partir ·du mornent où la raison devient toute-puissante, où elle n'est plus corrigée à chaque instant par l'expérience et par la vie. Il était rationnel de proclamer, comme l'ont fait les Soviétiques, la priorité de l'industrie lourde. Créer avant tout une puissante industrie lourde, à partir de laquelle on pourrait fonder une industrie, non moins puissante, des biens de consommation, cela était logique en effet, mais cela n'était ni raisonnable ni humain. Durant que l'on crée cette industrie lourde, il faut bien que ceux qui y travaillent mangent, se vêtent, ·se logent et se divertissent. D'où la nécessité, soit de faire aller de pair une indus- /
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==