Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

C. HARMEL (accessoirement, des échanges). L'idéal serait que chacun de ces organes productifs et distributeurs établisse son propre plan, que celui-ci soit fondu avec d'autres, en différentes éta?es géographiques et professionnelles, que le tout parvienne enfin au laboratoire national où s'effectuerait la synthèse. Entre ces deux méthodes extrêmes il en existe beaucoup d'autres, qu'on peut obtenir par combinaison des deux premières dans des proportions diverses - mais, de l'espèce de point de vue philosophique dont nous considérons ici le problème, ce sont les extrêmes qui comptent. _Est-il absolument certain, comme le pensent les adeptes de la « planification démocratique », que la consultation qu'ils préconisent permettrait une meilleure connaissance des besoins et des possibilités économiques réels que celle que donnent les enquêtes auxquelles peut se livrer l'administration ? Est-il absolument certain, surtout, que les producteurs· et les consommateurs ainsi consultés reconnaîtraient plus volontiers, dans les objectifs du plan, l'expression de leurs pensées, de leurs aspirations ? Que la synthèse de tous les plans particuliers soit une vraie synthèse ou seulement une espèce de moyenne arithmétique, l'impression d'étrangeté, d'extériorité, ne serat-elle pas à peu près la même que si le plan avait été élaboré dans les bureaux ? Certes, le sentiment d'avoir participé à l'élaboration du plan, même si l'on n'y retrouve rien de ce qu'on a cru y apporter, peut changer bien des choses, mais c'est là un aspect qu'il faut examiner à part. Ce qu'on doit souligner, c'est que le plan risque de décevoir tout le monde, d'être différent de ce que chacun en attendait. Pour reprendre la comparaison qui s'est déjà imposée, la volonté générale, telle que l'a définie Rousseau, est peut-être la somme et la synthèse des volontés particulières : elle a des chances de n'être la volonté de personne, et chacun risque de la juger étrangère. La différence entre le plan, expression de la volonté générale, le plan définitif, le plan national, d'une part, et de l'autre les plans particuliers élaborés au niveau des « cellules de base » de la production et de la distribution évoquées plus haut, sera d'autant plus sensible que, dans la conception démocratique de la planification, le plan fixera à chaque « cellule de base » de l'économie son programme d'activité, lequel ne coïncidera pas nécessairement avec celui des responsables, ou du « collectif », de la cellule. Cette correction aura beau être faite Biblioteca Gino Bianco 347 au nom de l'intérêt général, elle n'en apparaîtra pas moins, dans bien des cas, comme une brimade. Qu'elle soit dirigée « monarchiquement » ou qu'elle revête une forme coopérative, une entreprise n'est pas libre de faire ce qu'elle veut : dans une large mesure, ses objectifs de production sont déterminés par l'état du marché, l'importance de la concurrence, la possibilité de trouver· les moyens financiers ou les matériaux nécessaires à la production. Bref, de multiples obstacles se dressent devant l'entrepreneur (individuel ou collectif) et l'empêchent d'en faire à sa volonté. Mais ces obstacles ont un caractère nécessaire ; ils tiennent à la nature des choses, on ne se sent pas brimé par eux. Il en irait autrement de directives de production qui émaneraient du pouvoir (ou de l'organe central du plan, ce qui revient au mê1ne).Nées d'une volonté humaine, elles prendraient un caractère arbitraire, presque despotique, et cela d'autant plus que la volonté humaine en question serait plus impersonnelle. Supposons que les choses se fassent conformément à l'idéal de la « planification démocratique ». Supposons que les membres de la << cellule de production » élémentaire soient consultés, qu'ils participent vraiment à l'élaboration d'un projet de plan pour leur groupe. Ils le verront revenir, six mois plus tard, peutêtre dans de meilleurs délais, peut-être avec plus de lenteur encore, sensiblement modifié - voire entièrement transformé. Il pourra se faire qu'ils ne reconnaissent plus rien de leur projet dans le plan qui leur sera imposé. Leur première réaction sera de dépit : l'état d'esprit qui en résultera ne sera pas de ceux qui donnent du c-œurà l'ouvrage. Il faudra de longues explications pour que les auteurs du projet admettent que celui-ci a été pris en considération, qu'il a servi à l'établissement du plan, qu'il s'y retrouve, transmué, méconnaissable, mais présent. En tout cas, ils se lasseront de prendre part à l'élaboration de projets qui leur reviennent défigurés. Ils laisseront ce soin à quelquesuns. Bientôt, cela deviendra la tâche de trois ou quatre bureaucrates, dont la liberté d'initiative s'amenuisera de plus en plus. Un des buts que l'on prétend atteindre par la « planification démocratique » s'évanouira ainsi sans retour. On voudrait que tous ceux qui participent à la production, dans une entreprise déterminée, participent également à la gestion de cette entreprise ; mais ils ne tarderont pas, à cause du caractère centralisateur de la planification, à être dépossédés des pouvoirs

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