346 La « pl~ification démocratique » Ou BIEN l'expression dont ils se sont servis n'a pas de sens, ou bien les syndicalistes chrétiens et ceux qui, avec eux, ont parlé de planification « démocratique » étaient conscients des dangers que la planification fait courir aux libertés. C'est en effet pour corriger, pour conjurer ce qu'il y a de despotique dans la planification qu'ils ont accolé à ce mot l'adjectif « démocratique », démocratie étant dans leur esprit synonym_ede liberté. Résumons sommairement leur thèse, en accordant que tout résumé simplifie, appauvrit, déforme peut-être. « Démocratique » est une planification en vertu de laquelle les objectifs et les moyens du plan ne seraient pas fixés d'autorité par l'Etat, dans les bureaux, mais établis après consultation du peuple et en accord avec lui, approuvés par son vote, réalisés et mis en œuvre avec son concours effectif - le peuple s'entendant ici des organismes politiques et sociaux, sociaµx surtout, qui sont censés le représenter et qui, pour une partie au moins, l'encadrent et l'informent. Un plan ainsi établi n'aurait pas besoin d'être « souple », « indicatif », appliqué selon des moyens indirects, pour être démocratique, pour satisfaire en tout point la notion démocratique de la liberté. Conformément à cette notion - celle de la volonté générale de Rousseau, - obéir à la volonté générale, c'est obéir à sa propre loi, c'est s'obéir à soi-même, et l'on n'est libre que si l'on s'obéit à soi- " meme. . Or le plan, émanation de la volonté générale, sera l'expression de la volonté de chacun. Chacun se sentira libre en remplissant les obligations qui, pour lui, découleront du plan. A la· limite, on ne comprend même pas comment la planification démocratique pourrait ne pas être impérative, car si le plan exprime vraiment la volonté de tous, il doit être la loi pour tous. Sinon la démocratie n'est qu'un vain mot. C'est .cette doctrine qu'exprimait un rapport présenté au récent congrès de la C.F.D.T. On y lisait qu'ainsi établies, « les finalités du plan entraîneraient un large accord. des couches populaires permettant l'acceptation, non de contraintes, mais de disciplines collectives indispensables à un progrès économique et social plus rapide » .. La planification démocratique a donc pour objet, et elle aurait pour effet, de transformer les contraintes du plan en disciplines librement consenties. Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES Au demeurant, selon les « planificateurs démocratiques », directives et obligations du plan ne seraient pas restrictives de liberté. Cela non seulement en droit, mais en fait, précisément parce que, pour les établir, on aurait consulté tout le monde, qu'elles seraient pour ainsi dire calquées sur les désirs et les besoins de tous, et que chacun aurait enfin l'impression, pour de bon, qu'il fait ce qu'il a demandé qu'il soit fait, qu'il travaille pour lui-même, qu'il travaille, si l'on peut dire, sous ses ordres. En la formulant de la sorte, on accentue sans doute le caractère utopique, idyllique de l'idée de « planification démocratique ». On fait ressortir ses côtés faibles. Elle n'est, pour autant, ni trahie ni travestie. . L'idée de « planification démocratique » découle de la croyance vulgaire qui veut que la démocratie engendre la liberté, qu'elle soit la liberté même. La raison de cette croyance est sans doute - en dehors de l'enseignement de Rousseau - que l'on a fini par confondre avec la démocratie cet aµialgame de monarchie tempérée, d'institutions libérales et de démocratie électorale dont la Ille République, en ses beaux jours, a été le type assez caractéristique, assez séduisant aussi, un amalgame dans _lequel la démocratie limitait le pouvoir traditionnel, mais sans se substituer à lui, sans devenir elle-même le fondement du pouvoir. Il n'est. plus possible .d'accepter cette assimilation abusive de la démocratie et de la liberté. Le pouvoir ne devient pas néces_sairement plus libéral parce qu'il devient plus démocratique. Il peut même se faire qu'il devienne moins libér~l à mesure· qu'il devient plus démocratique. La planification en apporte la preuve. * ** Il est"cplusieurs façons d'élaborer un plan, d'en fixer les objectifs. Dans la conception dite · « autoritaire », le gouvernement laisse à l'administration (on préfère dire aujourd'hQi « les .technocrates ») le soin de dresser le tableau des besoins et celui des moyens, le soin aussi de proposer plusieurs formules. En présence de ces projets, le gouvernement choisira, après avoir consulté ou non, selon qu'il est plus ou moins libéral, personnalités ou organismes compétents. Selon 'les partisans de la « planification démocratique >>, l'élaboration du plan devrait commencer par la consultation, sinon de tous ceux qui participent à l'activité économique, du moins de l'ensemble de ce ·qu'on pourrait appeler les cellules de base de la prodùction •
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