Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

342 vaux, mais, dès mars 1934, les grandes lignes ·du « plan de la C.G.T. » étaient fixées par les Etats généraux du travail. Le plan lui-même fut adopté en octobre 1934. Le Front_ populaire devait être le tombeau ~u planisme. Hostiles à la planification qui, à leurs yeux, ne pouvait que prolonger la survie du capitalisme, les communistes firent écarter toute allusion au planisme .dans le programme du Front populaire. L'idée pianiste ne devait reparaître en force qu'après la guerre - et parmi ceux qui l'imposèrent au gouvernement d'alors figuraient en premier lieu des hommes dont Bergeron et son organisation sont les héritiers légitimes. C'est ce qui donne aux propos tenus à Miami leur caractère inattendu, presque sensationnel, propre à déconcerter ceux qui ignorent les révisions idéologiques qui s'opèrent actuellement dans les milieux syndicaux. Car ces propos ·ne sont pas que d'un homme ni que d'un jour. Bergeron les a repris maintes fois depuis et, avec lui, à peu près tous les militants de Force ouvrière se sont opposés ·à la « politique des revenus ». Ils s'y sont montrés si hostiles que l'on a pu se demander un moment si leur Centrale syndicale, qui pratique depuis 1920 avec assiduité la politique de la présence, n'allait pas retirer ses représentants des commissions du Plan. Ainsi, en France tout au moins, ceux qui furent les promoteurs de l'idée du plan, du _planisme et de la planification, parce qu'ils y voyaient le moyen de réaliser toujours un peu plus la double aspiration résumée dans leur devise : « Bien-être et liberté », s'en écartent aujourd'hui parce qu'il leur est apparu qu'elle contient une menace pour les libertés syndicales, pour toutes les libertés, et sans doute aussi pour la prospérité économique dont dépendent les salaires. Que s'est-il donc passé? La planification est .coercitive UN JOUR de mai 1962, au Comité confédéral national, un militant avait condamné ce qu'on appelait alors la « politique nationale des salaires ». Dans telle entreprise où il défendait les intérêts ouvriers, il lui eût été possible d'obtenir une hausse substantielle des salaires, tout y était propice, mais l'employeur n'avait pas voulu dépasser le taux d'augmentation prévu dans le plan ou dans quelque texte de ce genre, et il avait déclaré à son interlocuteur J syndical que celui-ci devait, lui aussi, s'en tenir ' . . , . a ce taux puisque ceux qui representaient son Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES organisation dans les commissions du Plan et au Conseil économique avaient approuvé le plan. · Cet exemple n'était pas unique. Bien d'autres militants avaient vécu une expérience analogue. Ainsi leur était apparue, sous une. forme brutale, la contradiction entre deux concep- . tions qu'ils professaient à la fois : la planification, apt~ selon eux à mettre fin aux désordres de l'économie capitaliste ou à les limiter, et la liberté de discuter les salaires et de les fixer par le moyen de conventions collectives, liberté sans laquelle les syndicats ne pourraient accomplir ce que les syndicaux considèrent comme leur fonction essentielle. Au terme des travaux de cette réunion syndicale, Bothereau, alors secrétaire général de Force ouvrière, résumait en ces termes les conceptions auxquelles la discussion avait conduit : Nous ne voulons pas n'i.mporte quelle planification. Nous la voulons souple. Nous voulons qu'elle fixe des objectifs économiques et même sociaux globalement, mais nous ne voulons pas d'une planification qui nous soit un carcan. Nous ne voulons pas qu'elle fixe la part de chacun (...). Nous sommes pour une liberté totale de discussion des salaires. Nous sommes pour une planification souple, qui comporte assez d'imprécision pour laisser une marge suffisante à nos _actions et à nos libertés. Parler de planification « souple » ou « indicative », c'est reconnaître qu'il existe plusieurs façons de concevoir la planification, et que l'une de ces conceptions prédomine, celle d'une planification qui ne serait ni « souple » ni « indicative », planification qui est le prototype dont les autres dérivent par voie de corrections, de retouches et de limitations. Quelle est, en effet, dans son état primitif, son état pur, l'idée de planification ? Quelle en est la notion fondamentale ? C'est que le plan doit substituer à l'impulsion économique qui vient d'en bas, de la société, des individus · et des groupes qui la composent et qui obéissent à des intérêts particuliers, une impulsion économique qui vient d'en haut, de l'Etat, agissqnt au nom de l'intérêt général. Certains jugeront cette définition abusive, parce qu'eux-mêmes conçoivent la planification comme une intervention de l'Etat pour discipliner ou orienter l'impulsion économique qui vient de !a société, et non pour lui substituer. son commandement. L'idée pianiste est pourtant bien, dans son essence, conforme à la définition donnée, ce qui s'explique à la -fois par les origines idéolo gigues du plus grand nombre de ses premiers·

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