Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

Débats et recherches PLANIFICATION, DÉMOCRATIE, DESPOTISME* par Claude Harmel Au DÉBUT DE 1964, le secrétaire général de Force ouvrière nouvellement élu à ce poste, André Bergeron, était à Miami l'hôte de l'American Federation of Labor. On le pria de parler et les propos qu'il tint étaient de nature à surprendre quiconque est familier avec les idées qui ont cours dans le mouvement syndical. Quelques semaines auparavant, le Congrès de l'A.F.L.-C.I.O. avait préconisé l'introduction de certaines méthodes de planification dans l'économie américaine : L'expérience a montré que nous ne pouvons nous fier exclusivement aux forces aveugles du marché pour réaliser le plein emploi, la production à 100 %, ni pour mobiliser efficacement nos ressources... D'autres pays avancés, libres et démocratiques, ont constaté qu'ils ne pouvaient atteindre leurs objectifs dans le domaine économique et social que par une planification rationnelle de leur économie, planification à laquelle participent démocratiquement toutes les couches de la population ainsi que le gouvernement. Nous recommandons l'institution aux Etats-Unis d'un organisme national de planification qui, par des procédés démocratiques similaires, évaluera tant nos ressources que nos besoins et affectera les unes aux autres dans l'ordre qu'il déterminera en tenant compte de l'urgence des besoins. De la part de syndicalistes connus à juste titre comme les moins marqués par l'idéologie socialiste, ce texte était déjà étonnant. Moins , pourtant que la réponse de Bergeron. Celui-ci s'employa en effet à mettre en garde ses camarades américains contre les idées qu'ils venaient d'adopter. Il confirma l'adhésion de son organisation à la planification, pourvu • Texte, légèrement remanié, d'une conférence faite le t 9 Janvier dernier à l'Université catholique de Louvain et le 20 Janvier à la Fondation universitaire, à Bruxelles, 10111l'égide de I' In1tltut belge de science poUtlque. Biblioteca Gino Bianco qu'elle fût souple, mais il déclara tout aussitôt qu'elle comportait des dangers de tous ordres contre les libertés syndicales. D'après lui, la planification de la production et de la répartition, en particulier celle des revenus, notamment des salaires, aurait pour résultat, non seulement de « politiser » l'action syndicale, mais de la vider de sa substance, de la restreindre au contrôle de l'application dans les entreprises et les professions de décisions prises ailleurs, dans les conseils du gouvernement, bref, de transformer à la longue les syndicats, d'organisations autonomes défendant les intérêts ouvriers auprès des employeurs et du pouvoir, en organismes d'encadrement des salariés, chargés de leur faire accepter et exécuter la· politique économique et sociale de l'Etat. Autrement dit, la planification recèle au moins un germe d'autoritarisme, voire de despotisme, qu'il ne faut pas ignorer et dont on doit à tout prix empêcher le développement. Ces propos prennent tout leur sens si l'on se souvient qu'ils étaient tenus au nom de J'organisation qui fut la première en France, la seconde en Europe occidentale, à préconiser ce qu'on appelait alors le « planisme ». Elle avait été devancée par le Parti ouvrier belge et la Fédération générale du travail belge, puisque c'est à la Noël 1933 qu 'Henri de Man avait fait accepter par le congrès socialiste belge le premier plan conçu en Europe occidentale, le « plan du Travail ». Avant que les socialistes belges ne se fussent prononcés, les syndicaux français de la C.G.T., alors non communiste, s'étaient déjà mis à l'œuvre, sous l'impulsion notamment de la puissante Fédération des fonctionnaires. Le 6 février retarda leurs tra-

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