338 Cela, naturellement, signifie que lorsque l'idéologie entrave la découverte des solutions optimales aux problèmes scientifiques, économiques et technologiques, elle risque d'être rejetée ou tout simplement ignorée. Le relâchement de la vigilance idéologique chez les jeunes {la « désidéologisation », pour employer le jargon de la presse soviétique) dure depuis plusieurs années et a engendré un nouveau groupe professionnel et social de jeunes savants que l'on désigne collectivement comme les « physiciens », ou encore les « cybernéticiens ». A l'heure actuelle, ceux-ci sont les « maîtres à penser » d'une pârtie notable de la jeunesse intellectuelle. En outre, la littérature leur réserve une large place : Le physicien est devenu une célébrité. Depuis longtemps il a pris rang parmi les saints du calendrier. Les écoliers et les écrivains l'idolâtrent. Auparavant, il n'était pas très commode d'avoir affaire à lui. Il était cependant quelque chose d'exceptionnel, de « non typique ». A présent, le nombre des physiciens est en train de croître dans des proportions géométriques. Et quand bien même la littérature voudrait les ignorer, elle ne le pourrait pas. Aujourd'hui, dans un livre sur trois que l'on ouvre, il est question de physiciens. Peut-être pas exactement d'eux, mais néanmoins de quelque chose dans ce genre. Le héros peut ne pas être un physicien, mais un biologiste, un chimiste ou un cosmonaute. Mais il appartient au groupe des « physiciens », car c'est ainsi que nous avons pris l'habitude d'appeler les savants en général (Kom. Prav., 16 mars 1966). * * * CE QUI CARACTÉRISEessentiellement les « physiciens » et leurs adeptes, c'est la ferme conviction que les mathématiques, la cybernétique et autres sciences exactes « d'avantgarde » sont appelées à façonner la conception du monde, pour ne ·pas dire l'idéologie de la société de demain ; de cela, il s'ensuit qu'euxmêmes, les « physiciens », en tant que sectateurs de ces sciences, sont destinés à devenir l'élite dirigeante (E. Porchnev : « Le talent n'est pas un poisson rouge », in Izvestia, 16 octobre 1963). Un autre trait distinctif, en particulier chez les plus jeunes et les plus zélés, c'est qu'ils s'efforcent de ressembler le plus parfaitement possible à une machine à penser électronique, que ce soit dans le domaine de la pensée proprement dite ou dans celui des sentiments. Selon eux, pareille émulation est nécessaire, car seule la machine cybernétique est capable d'étudier objectivement le monde environnant et de tirer les conclusions adéquates pour dicter les lois de l'évolution sociale (A. Dnieprov : « La littéBibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE rature que l'on attend », in Notre Contemporain, 1965, n° 11, p. 113). Le fait que les utopies sociales prédites par les philosophes (les « lyriques ») soient restées lettre morte alors que les « utopies scientifiques » sont en train de devenir réalité sous nos yeux, constitue, pour les « physiciens », la preuve qu'ils ont pris le bon chemin et que leurs prétentions à une position dirigeante dans la société est parfaitement ju~tifiée. Quelques chiffres donneront une idée de l'importance croissante prise par lesdits « physiciens -» dans, la société soviétique. Ainsi, en six ans, le nombre des étudiants qui apprennent la construction des machines et de l' appareillage électrique a presque quintuplé. Dans le même temps, le nombre des étudiants en droit ne faisait que doubler. Etant donné la tendance générale au développement scientifique et technologique, on peut s'attendre à voir le nombre des « physiciens » se multiplier encore dans un proche avenir ..En outre, entreront bientôt dans .cette immense famille des spécialistes toujours plus nombreux de disciplines scientifiques. encore dans l'enfance. Autre caractéristique du « physicien », sa prédilection pour la science-fiction. Dans les bibliothèques austères des instituts de recherche scientifique, il n'est pas rare de voir un savant s'emparer avec avidité de Naouka i ]izn (la Science et la Vie), de Tiekhnika Molodio;i (la Technologie pour la jeunesse), de Znanié-Sila (le Savoir est la force) et même (en essayant de le cacher à son entourage), de Iouny Tiekhnik (le Jeune Technicien), les feuilleter fébrilement, en commençant par la fin, pour en arriver à la dernière histoire de science-fiction sur laquelle il se jette avec avidité. Après quoi le veinard échappe à la réalité qui l'entoure jusqu'à ce qu'il ait lu la dernière ligne. Dans le n;iilieu scientifique, c'est une passion presque générale. Nombre de gens estiment que les revues destinées aux enfants et aux adolescents sont, en fait, lues avec autant d'intérêt par les adultes. Et si l'on ,se livrait à une étude statistique, il est vraisemblable que l'on découvrirait que les savants constituent le plus fort pourcentage parmi les lecteurs de science-fiction (V. Perelman : « La littérature récréative et le savant », in recueil La Science-Fiction, M(?SCOU 1965, p. 257). D'ailleurs, les ouvrages de science-fiction sont souvent écrits par des scientifiques euxmêmes. Qu'ils les lisent ou qu'ils les écrivent, l'important est que les « physiciens >> sont en mesure d'aborder plus librement les problèmes sociaux et philosophiques lorsque ceux-ci sont traités sur le plan ostensiblement vague de la science-fiction. Cela, conjugué avec la possibilité de se distraire par procuration en « s'abstrayant complètement du milieu envi-
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