Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

260 qu'après plus de vingt années de communisme, · « le chauvinisme [des nationalités] était à vrai dire en croissance », il reprocha aux historiens et écrivains d' « empoisonner les rapports entre les nations » qui constituent la Yougoslavie. Le Parti, poursuivit-il, avait encore à faire face à l'ennemi de classe, la bourgeoisie capitaliste, « ce même adversaire que nous avons combattu, le fusil à la main, pendant la guerre. L'ennemi est encore bien vivant et il est nécessaire de le matraquer à mort. » Il ajouta cependant qu'il n'en appelait pas aux mesures brutales de l'ère stalinienne, mais à un renouveau de l'activisme idéologique. Tout en prônant un renforcement de la discipline dans le Parti et en menaçant d'exclusion tous les non-conformistes, Tito soutient les « libéraux » sur le chapitre des réformes politiques et économiques, lesquelles sapent la discipline et empiètent sur les positions retranchées des fonctionnaires du Parti. Ce programme a été conçu principalement par des économistes slovènes et croates qui, depuis longtemps, déplorent la politique de Belgrade consistant à concentrer les investissements fédéraux dans les républiques comparativement sous-développées de Serbie et de Macédoine plutôt que dans les économies industrielles avancées de Croatie et de Slovénie, là où l' argent· serait employé de manière plus productive. Sous la nouvelle politique économique, pas moins de 70 % de tous les fonds d'investissement seraient peut-être alloués aux républiques fédérées et aux entreprises, et ils seraient utilisés davantage par les techniciens industriels que par les fonctionnaires du Parti. Ce conflit entre les diverses régions est exacerbé par un conflit de générations : les fonctionnaires du Parti, qui, pour la plupart, doivent leurs postes de direction à leurs états de service comme partisans pendant la guerre, sont plus âgés et beaucoup moins instruits que la nouvelle génération 4e jeunes technocrates qui entendent que les investissements soient fondés sur des critères économiques et non plus politiques. Autre élément qui sape la discipline du Parti et encourage la déviation : les contacts étroits avec l'Occident. Les milliers de touristes qui affluent chaque été en Yougoslavie, en particulier pour des vacances sur la côte de l'Adriatique, ·n'apportent pas seulement des voitures, des disques des Beatles et des bikinis, mais des idées politiques et sociales. En outre, 250.000 ouvriers, techniciens, architectes et ingénieurs qui n'ont pu trouver de travail en Yougoslavie ont émigré avec la bénédiction de Biblioteca Gino Bi·anco LE CONTRAT SOCIAL leur gouvernement : en effet, outre qu'elle soulage le chômage domestique, l'opération rapporte chaque année 80 millions de dollars que les travailleurs à. l'étranger envoient à leurs familles demeurées au pays. Tito est ainsi pris dans une nouvelle contradiction. Alors que les nécessités économiques obligent le régime à pardonner, voire à encourager les contacts personnels et financiers qui se multiplient avec l'Occident, Tito s'inquiète des effets explosifs que lesdits contacts ont sur le parti communiste. Devant le Comité central, il a fustigé « l'idéologie décadente de l'Occident » et accusé le monde occidental de chercher à entretenir la subversion « avec de l'argent, en fomentant des coups d'Etat et en instillant son idéologie ». •*• LE « GÉNIE » DE TITO est celui d'un prestidigitateur. Il a accepté une aide économique massive des Etats-Unis et concédé à ses sujets une liberté limitée, sans pour cela démanteler réellement son totalitarisme ; ces dernières années, il a effectué un nouveau virage en direction de Moscou, sans pour cela compromettre l'indépendance de son pays. Mais le jeu tire à sa fin et les tours de passe-passe sont, pour Tito, de plus en plus difficiles. A l'avant-dernière session du Comité central, son indécision et ses hésitations se sont traduites par des mouvements d'humeur. Il a déploré qu'on puis- . se difficilement distinguer entre les vues des communistes et celles des oisifs qui papotent dans les cafés. Cette mentalité de rue, a-t-il souligné, a contaminé les membres du Parti « de pensée bourgeoise », et ils ne sont plus en mesure de raisonner « comme de vrais communistes devraient le faire ». Bref, a averti Tito, il existe un réel danger que l'Etat communiste se Jransforme en un Etat bourgeois, le Parti servant de nouvelle classe dirigeante. · .Si cela devait arriver, ajouta-t-il, le Parti est condamné. Mais là, Tito s'empêtrait pans _une contradiction qui nécessita une quat"rième session. Il exigea catégoriquement la mise en œuvre de nouveaux programmes économiques tendant à instaurer progressivement une . économie de marché. Or les programmes ne peuvent être menés à bien que si les cadres du Parti renoncent à let.Ir haute main sur les usines et les entreprises. Tito est par conséquent tenu de faire fond sur les jeunes technocrates pour réaliser le plan. Mais ces gens sont ceux-là mêmes à qui Tito s'en est pris auparavant pour s'être laissés séduire par l'idéologie « négative »

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