' QUELQUES LIVRES On regrette que le dessein même de son livre ne lui ait pas permis d,exprimer plus précisément ses propres principes. La lecture laisse ainsi une impression de décousu, de fourmillement, qui n,est pas corrigée par la . forme. N,y a-t-il pas quelque conformisme - le conformisme du rr siècle, celui de l'anticonformisme - pour un professeur de Faculté, à vouloir écrire comme ses élèves parlent ? De même, le portrait de la société intellectuelle qui secrète et approuve cette pseudo-sagesse n'est qu'esquissé. Les exemples. que M. Ellul en a choisis sont disparates, et il ne donne pas toujours, à leur propos, tous les éclaircissements historiques. Il est surprenant qu,un homme né en 1912 puisse commenter l'expression « politique d'abord » sans écrire le nom de Maurras et surtout sans savoir ce qu'il voulait dire par là, qu,il paraisse ignorer que « l'intérêt général prime l'intérêt particulier ,, était un principe des nazis (ce qui renforcerait sa thèse), qu'en raillant l'adage « le travail. c'est la liberté » il ne se souvienne pas de ce qu'en faisait René Clair ... Un auteur aussi exi-• geant que M. Ellul ne devrait pas nous laisser sur notre faim. JEAN-PAUL DELBÈGUE. Un historien sincère ALAIN MICHEL : Tacite, ou le destin de l'Empire. Préface de Pierre Grimal. Paris 1966, Arthaud édit., 284 pp. SI les études classiques ne sont pas à la mode, c'est faute de livres comme celui-ci. Les classiques souffrent d,un malentendu. Littéraires ou historiens, les spécialistes n'ont jamais été mieux armés intellectuellement qu'aujourd'hui ; le public cultivé, surtout dans la jeunesse, se passionne pour l'archéologie ; mais faute d'ouvrages d'ensemble, le passage ne se fait pas de l'un à l'autre. Il existe en France deux grandes collections de textes classiques ; l'une est née après la guerre de 1914, c'est la collection Budé : elle met en face du texte une traducBiblioteca Gino Bianco 315 tion française élégante. Quel succès n,ont pas eu jadis les versions d,Homère par Bérard, des tragiques par Mazon ! L,autre collection est née après la guerre de 1939 : c'est la collection Erasme ; elle n'est nullement inférieure, techniquement, à son aînée ; mais elle ne donne pas de traduction. On s,enferme dans le ghetto. Le livre de M. Michel consiste principalement à montrer combien l'œuvre de Tacite est inspirée de la morale stoïcienne, chère aux grandes familles sénatoriales du Haut Empire. En ce sens, comme il le note lui-même (p. 56 ), M. Michel reprend le propos de Gaston Boissier un siècle plus tôt dans son Opposition sous les Césars; il l'enrichit de rapprochements biographiques et littéraires qui lui permettent d'apporter dans l'histoire intellectuelle de l'Empire comme dans celle de son historien maintes nuances - un mot qui revient souvent dans le livre de M. Michel, - et que justifie notamment la pénétration des commentaires qui viennent éclairer la concision de Tacite. « Tacite croit ce qu,il dit » (p. 255) : M. Michel croit à la sincérité des grands auteurs ; c,est, aussi bien, l'hypothèse la plus féconde. Pour attentif qu'il soit aux individus et à leur psychologie, et quoiqu'il pratique une histoire de grand seigneur, Tacite est guidé, non par un moralisme étroit, mai~ par une réflexion générale sur les conditions de la vie en société et plus particulièrement sur les conditions de la santé de l'Empire. En ce sens, sa conception de l'histoire n'est pas moins sociale que celle des auteurs modernes. Quant à l'idéologie stoïcienne elle-même, qui inspire tant de vies et tant de morts de la haute société impériale, il ne resterait qu'un pas à faire pour transposer les analyses de M. Goldmann sur le jansénisme et y voir la réaction négative d'un groupe social frustré du pouvoir dont il se sent capable et dont il veut d'autant plus se montrer digne : bien qu'il s'en approche (p. 38 notamment), M. Michel ne formule pas la question, mais c,est une de celles que suggère son étude à la fois riche et prudente. J.-P. D.
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