314 taurer l'ancien régime, dont l'amiral Horthy allait, peu de temps après, prendre la tête. A la terreur rouge succéda la terreur blanche, l'antisémitisme en plus. Une fois encore, la mission militaire italienne fut assiégée par une foule d'innocentes victimes sollicitant saufconduits ou laissez-passer pour s'enfuit à l'étranger ; une fois de plus, le colonel Romanelli fit de son mieux pour les soustraire aux persécutions, lesquelles s'abattaient sur bien des gens qui, ayant souffert du fait des bandes terroristes rouges, se virent traqués par leurs homonymes blancs. Qu'elle soit de droite ou bien de gauché, la dictatùre a les démocrates en horreur. Ces p·ages·,aussi émouvantes qu'instructives, méritent d'être lues et méditées. C'est de l'histoire vivante (et, pour certains, revécue) que présente ce livre qui a l'apparence modeste de simples Mémoires. LUCIEN LAURAT. Le nouveau conformisme JACQUES ELLUL : Exégèse des nouveaux lieux communs. Paris 1966, Editions CalmannLévy, 302 pp. ~ IL Y A du mérite, pour un protestant, à se placer sous le patronage de Léon Bloy. Le pèlerin de l'absolu n'aimait pas la Réforme et le disait à sa façon, qui était violente. On entend bien que c'est le ton d~ Bloy, et non le détail de ses convictions, que M. Jacques Ellul veut évoquer. Aussi bien !'Exégèse des lieux communs de Bloy est-elle un livre mystique nourri de références scripturaires, tandis que M. Ellul ne nous parle que du monde qui est sous nos yeux ; mais il le fait au nom d'une exigence morale et d'un respect de l'Esprit qui sont bien d'un chrétien· à l'ancienne mode. La grande hypocrisie du nouveau conformisme, c'est. qu'il se présente comme un anticonformisme. L'homme du xxe siècle dit le contraire de ce que disait son grand-père, et cela lui donne le sentiment de braver la société; mais il ne brave que celle des -cimetières, et les petits-fils, eux aussi, disent tous la même chose au même moment. Les idées et les groupes qui dominent la société - les techniciens, dit M. Ellul (p. 234 ), mais on trouverait aisément d'autres exemples - ne seraient pas satisfaits si, en même temps, ils ne conservaient pas la réputation d'être pauvres et persécutés. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL C'est ce qu'en 1850 X. Doudan remarquait déjà : · « Ce que nous avons toujours souhaité,· c'est d'être bien nourris, bien vêtus, bien couchés et couchés de bonne heure, et de marcher en même temps pieds nus et sans pain à la conquête de l'Europe. » Les nouveaux aphorismes sont donc souvent à l'opposé des précédents ( « Nous ne vou- , Ions pas la charité, mais la justice » ; « La femme trouve sa dignité dans le travail » ; « Personne ne peut aider personne » ; « On ne fait pas d'œuvre d'art avec de bons sentiments » - toutes propositions dont M. Ellul donne une exégèse impitoyable). Ainsi celui qui leur obéit docilement conserve-t-il'-l'illusion d'être libre. On n'en sent le poids que par différence, le jour où quelque insolent s'avise de les contredire : c'est un souffle d'air pur. Il y a quelque chose de rafraîchissant, en 1966, à voir un auteur sérieux tourner en dérision Teilhard de Chardin, voire, horresco referens, le docteur Schweitzer, et pousser jusqu'à l'éloge de l'analphabétisme. Dans· une société moutonnière, l'irrespect est un talisman. · Les valeurs que reconnaît M. Ellul et devant lesquelles il incline les lieux communs du siècle ne se laissent définir que par différence et pour ainsi dire en creux. La liberté en premier lieu, la liberté de l'individu (on lui préfère aujourd'hui la « personne » et M. Ellul explique fort bien pourquoi), qu'on cherche à nier : « la · liberté, c'est obéir à la nécessité », ou à réduire, et l'auteur s'élève _avecune belle véhémence contre cette proposition : « un homme qui ne peut même pas lire un journal n'est pas libre», alors qu'en réalité, dit-il, « la lecture met l'homme beaucoup plus entre les mains de l'Etat qu'il ne le fut jamais ». M. Ellul se méfie visiblement des groupements qui se chargent de penser pour .p.ous,et il porte, au pas- . sage, ~e dures accusations contre le syndicat des instituteurs (p. 115). Plus subtilement, il est offensé par tout ce qu'il y a d'épais, de vulgaire, de péremptoire dans les convictions communes d'un siècle resté inconsciemment scientiste, et c'est ce qui le conduit à poser de petites questions qui vont loin : « Et si la relation avec Dieu existait? Et si la valeur Justice était la clef des relations sociales ? Et si le sentimeni du Beau était déterminant (et non pas. déterminé par les relations humaines) dans l'œuvre d'art ? Et si rien ne s-'expliquait du quantitatif que par relation au qualitatif? » En dernière analyse, c'est une exigence de qualité qui révolte M..Ellul contre une sagesse pour ilotes.
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