304 xisme lui-même; je me bornerai à signaler deux ·aspects de l'idéologie qui, à mon avis, ont joué un rôle moteur dans la croissance. Le premier réside dans les choix fondamentaux auxquels tout régime économique, quel qu'il sott, doit procéder pour savoir s'il convient de satisfaire en priorité, d'une part, les besoins présents ou à venir de la société (faut-il donner le pas aux besoins de la génération présente ou à ceux de la génération future·?), d'autre part, les besoins individuels ou les besoins collectifs. L'idéologie marxiste a presque toujours donné la priorité au futur sur le présent et au collectif sur l'individuel. La conséquence, c'est que nous nous trouvons devant un système de priorités, de motivations de base, qui sont inversées par rapport à celles des économies occidentales. Le libre jeu du marché permet aux préférences individuelles de s'exprimer; il ne fait pas de doute que celles-ci tendent à satisfaire en premier lieu nos besoins présents et nos besoins personnels. Ce qui explique que trop souvent nos sociétés occidentales négligent les besoins collectifs (sous-équipement en ce qui concerne les écoles) et ne pensent pas suffisamment à l'avenir (taux d'investissements).. Le système soviétique présente la déformation inverse ; il sacrifie trop facilement le présent au futur : pour le marxisme, c'est l'image de _la société à venir qui compte, peu importent les difficultés présentes. Je n'insisterai pas sur l'importance du « . collectif » dans cette perspective. Ce qu'il est important de souligner, c'est que si les motivations sont inversées par rapport aux tendances spontanées des individus, seul un système d'administration hautement centralisé est capable de faire respecter les priorités ainsi définies, à moins, évidemment, d'une transformation fondamentale de l'homme qui donnerait naissance à un « homme nouveau »._ Le deuxième _aspect de l'idéologie marxiste qui intéresse la croissance est une confiance absolue .dans le progrès matériel : l'abondance doit mettre fin à l' « aliénation » telle que la conçoivent les marxistes. Il en résulte que la croissance des biens matériels est une loi impérative. L'Union soviétique est peut-être le seul pays au monde où cette loi, inscrite chaque année dans le plan, oblige à produire davantage ; si vous ne respectez pas le plan, il vous en cuira : nul doute que ce soit là un facteur de croissance;.. Sur le plan des structures juridiques, quelles sont celles qui paraissent avoir joué un rôle moteur ? Tout d'abord, le statut de ·1a propriété des moyens de production, dans la mesure où leur socialisation, ·leur nationalisation Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE a mis fin - en théorie - aux droits acquis. Pas de possibilité de « cartels », avec leurs pratiquès restrictives ; pas de « secrets d'affaires », et le progrès technique doit, en principe, se propager assez rapidement. (En fait, il y a dans l'économie soviétique, et particulièrement dans l'industrie, pas mal de conservatisme ; le roman de Doudintsev : L'Homme ne vit pas seulement de pain, décrit les difficultés bureaucratiques rencontrées par un inventeur pour · faire appliquer son invention.) Un deuxième trait est l'absence d'opposition syndicale; lorsqu'un plan est établi, dans une économie occidentale, cela implique des hypothèses sur l'équilibre de la productivité, des revenus, etc., mais tout peut être. facilement remis en cause par une grève ou par des pressions syndicales susceptibles de modifier les perspectives financières. Autun danger de cet ordre en U.R.S.S. où le syndicat est un rouage docile du gouvernement. Un dernier trait des structures juridiques qui a exercé une influence sur la croissance industrielle (j'insiste sur ces mots de croissance industrielle, car si l'on se place au point de vue de la croissance globale, ce troisième facteur a eu un effet retardataire), c'est la collectivisation. Elle a permis d'imposer à l'agriculture une sorte de tribut en forçant les paysans à livrer leurs produits sans contrepartie monétijire, et ce lourd tribut payé par l'agriculture a été, des décennies durant, un facteur d'accumulation au profit de l'industrie. Quant aux techniques économiques proprement dites, je signalerai trois caractéristiques cfü système en essayant de -lés opposer aux techniques occidentales, car ce que nous recherchons ici ce sont les spécificités soviétiques. Avant tout, en Union ·soviétique, les décisions d'épargne ef d'investissement sont prises simultanément, alors que, dans le modèle de Keynes, il y a constamment déséquilibre entre taux de croissance et taux d'épargne, déséquilibre qui -entraîne· des effets multiplicateurs : la réponse des chefs d'entreprise anticipe le mouvement de l'épargne (avec une croissance plus rapide que le taux d'épargne, l'investissement s'accélère) et, pratiquement, l'économie oscille constamment entre le sous-emploi et l'inflation. Autre conséquence : la possibilité de prendre des décisions simultanées dans le domaine de l'épargne et de l'investissement permet de fixer d'avance ,le taux d'épargne au niveau désiré. En U.R.S.S., le taux d'accumulation- a été très élevé : en 1928, c'est-à-dire avant la planification, 14 % du produit national brut étaient affectés à l'investissement; en 1955, ce taux est passé à 29 %. Aux Etats-Unis, le chiffre
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