Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

298 rieurs, l'àssistance fraternelle des .égaux et l'·ap- . pui filial des inférieurs !. » Cette liberté, « qui abjure l'indiscipline de l'orgueil », régnera dans un parti nouveau « qui ne s'arrêtera pas à la métaphysique. constitutionnelle », mais tiendra compte de « la part que chaque membre de la société prend à la production et à la distribution du. bien-être universel ». Laurent rappelle la question de Sieyès : « Qu'est-ce que le tiers état ? », propose une nouvelle question : « Qu'est-ce que les prolétaires ? », et répond en demandant que l'église saint-simonienne devienne « le parti politique des travailleurs 11 ». Après la dispersion de la famille saint-simonienne, Michel Chevalier redira plus clairement encore comment s'opposent liberté bourgeoise et libertés réelles : « Quel peut être, demandet-il, le sens du mot de. liberté appliqué aux classes laborieuses ? La liberté, telle que de sincères amis de ces classes ont voulu la leur donner, est une liberté trop calquée sur le modèle bourgeois ; ce n'est ni celle que lès prolétaires souhaitent, ni celle qui leur convient ( ...). Pour la démocratie 12 , la liberté se présente sous un autre aspect : la plus dure servitude pour elle, ce n'est pas la privation de certaines franchises politiques ; le joug qu'elle porte, celui dont elle est le plus impatiente de se délivrer, c'est celui de la misère. L'homme qui a faim n'est pas libre, car évidemment il n'a pas la disposition de ses facultés, soit physiques, soit intellectuelles, soit morales 13 • » Saint-simonien assagi, Michel Chevalier ne veut pas confier le pouvoir à des êtres qui n'ont pas « la disposition de leurs facultés soit intellectuelles, soit morales ». C'est à la monarchie bourgeoise qu'il attribue la mission d'accroître la richesse générale, assuré que les amis du prolétariat feront valoir ses droits à « une- part considérable du fruit de ces améliorations ». ,,*.,,. DIRONS-NOUSqu'en · opposant les libertés réelles aux libertés formelles, Saint-Simon et les saint-simoniens furent les précurseurs de Marx ? Cela ne serait que partiellement exact. Saint-Simon a toujours rêvé d'un pouvoir discrétionnaire exercé par des gens possédant la science véritable. Les saint-simoniens ont un moment imaginé d'encadrer les travailleurs 11. Religion saint-simonienne. Recueil de prédicatiom, tome II, Paris 1832, pp. 145 à 164 (prédication du 9 octobre 1831). 12. • La démocratie •, entendez : le prolétariat. 13. Michel Chevalier : Des intérlts matériels en France, Paris 1838, pp. 3-4. Biblioteca Gin·o B-ianco DÉBATS ET RECHERCHES dans un parti-église fermement hiérarchisé. Et quand_cet espoir s'est dissipé, nous avons vu Michel Chevalier faire confiance aux classes éclairées pour apporter aux prolétaires un bienêtre qu'ils ne sauraient se procurer par leurs propres efforts. Bref, les saint-simoniens appréciaient fort peu les Ubertés issues de la Déclaration des. droits de l'homme. Marx a toujours . eu un point de vue assez différent.' Dans sa jeunesse, à la vérité, on voit Marx rejoindre le point de vue des saint-simoniens lorsqu'il condamne la société fondée sur les droits de l'homme au nom d'une société idéale où la « vie générique » de l'homme aurait le pas sur 1~ vie individuelle. « Aucun des prétendus droits de l'homme, écrit-il dans ses réflexions sur la Question juive de Bauer 14 , ne dépasse l'homme égoïste, l'homme tel qu'il est, membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant· à son arbitraire .privé. L'homme n'y est pas considéré comme un être générique ; tout au contraire, la vie générique elle-même, la société apparaît comme un cadre extérieur à l'individu, comme une limitation de son indépendance initiale. » Evi- . demment, à cette époque-là, Marx rêve d'une société qui ne serait plus pour l'homrne limitation, ·mais accomplissement. Cependartt, il ne dénie pas toute valeur à la révolution bourgeoise, car « l'émancipation politique constitue, somme toute, un grand progrès. Elle n'est pas, i~·est vrai, la dernière forme de l'émancipation humaine, mais elle est la dernière forme del'émancipation humaine dans les cadres de l'or- .dre social actuel 15 • » D'or.es et déjà, donc, Marx considère la Déclaration des droits de l'homme comme une étape importante sur le chemin de la société parfaite : la libération de l'homme prélude à l'intégration du citoyen. D'autre part, le but . à atteindre est fondament.alement philosophique : Marx ne se réfère nullement aux conditions matérielles d'existence, mais exclusivement à la situation morale de l'homme dans la société. Devenu homme d'action, Marx soutiendra des points de vue tout à fait analogues. Bien loin de mépriser les ressources qu'offrent aux ouvriers la démocratie bourgeoise, il ·expose, dans le 'Manifeste du parti communiste, que « l'organisation des prolétaires en classe, et par suite en parti politique », leur permet d'obte- · 14. Œur,res philosophiques, trad. Molitor, I, 195. 15. Ibid., p. 179.

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