Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

TVES LÉVY trop aisément leur parti des « haillons de la misère mêlés aux enseignes du luxe 8 ». L'homme qui sera le plus sensible à ce nouvel état d'esprit, c'est Saint-Simon. Des Lettres d'un habitant de Genève de 1803 au Nouveau christianisme, qui fut son dernier ouvrage il ' ' d 1 ' °: a cesse _e penser que a préoccupation essentielle devait etre de favoriser la science et uar elle_,de répandre le bien-être sur l'h~ma~ité enuere. La connaissance scientifique du bien généra~ sera, à ce point assurée que le problème de la liberte en sera transformé. « Le maintien de la liberté, expose-t-il, a dû être un objet de première sollicitude, tant que le système féodal et ,théologiq1:1ea ~o,ns~rvé quelque force, parce qu alors la libe~te etait exposée à des attaques graves et continues. Mais aujourd'hui il ne peut plus exister la même inquiétude en s'occupant de l'établissement du système industriel et scientifique, puisque ce système doit entraîner de toute nécessité, et sans qu'on s'en occu~e directement, le plus haut degré de liberté sociale, au temporel et au spirituel. » Défendre· une liberté qu'on n'attaque pas, ce serait un combat aussi inutile que celui de don Quichotte contre les moulins à vent dit SaintSimon, qui continue : ' « D'ailleurs, en aucun cas, le maintien des libertés individuelles ne peut être le but du contrat social (...). On ne s'associe point pour être libres. Les sauvages s'associent pour chasser, pour faire la guerre, mais non certes pour se procurer la liberté (...). La vraie liberté ne consiste point à rester les bras croisés, si l'on veut, dans l'association ; un tel penchant doit A , • , , ' etre reprime severement partout où il existe• elle consiste au contraire à développer, san~ entra~es et avec toute l'extension possible, une capacité temporelle ou spirituelle utile à l'association. » Saint-Simon - est-il besoin de le dire? - ne précise pas qui décidera qu'une activité est utile à la société. En revanche il s~it très ~ien que « l'idée vague et métaphysique de liberté, ( ...) si on continuait à la prendre pour base des doctrines politiques, tendrait éminemment à gêner l'action de la masse sur les individus », alors qu'un « système bien ordonné (...) exige que les parties soient fortement liées à l'ensemble et dans sa dépendance ». Saint-Simon s'élève d'ailleurs contre « le droit de s'occuper des affaires publiques sans con~ition déterminée de capacité, conféré, en théorie, à tout citoyen comme un droit naturel ». Et il prévoit que cela ne durera 8. J.-B. Say : Traité d'économie politique, Paris 1803 p. XLffl. ' Biblioteca Gino Bianco 297 guère : « Lorsque la politique sera montée au rang des sciences d'observation, ce qui ne sau- .rait être aujourd'hui très retardé, les conditions de capacité deviendront nettes et déterminées et la culture de la politique sera exclusivemen~ confiée à une classe spéciale de savans qui imposera silence au pariage 9 • » Saint-Simon, premier héraut de ce que Raymond Aro~ nomme « l'ambition prométhéen- ~e », exprime, on le voit, sur l'opposition des libertés formelles et des libertés réelles une théorie dont la clarté ne pourra être dép~ssée. Et s'il n'use pas exactement de ces exuressfons-là, on aperçoit cependant qu'il y aLune liberté apparente qui n'aboutit qu'au « pariage », et une « vraie liberté » qui consiste directement ou indirectement, à participer à la production des biens matériels. LES HÉRITIERS SPIRITUELS de Saint-Simon n'oublièrent nullement cet aspect de son enseignement. Dès l'année qui suivit sa mort, exposant que, pour les libéraux « la liberté, qui n'est autre chose que le b~nheur doit être considérée comme le but des effort~ s?~iaux », ~a1:_rentajoutait que « cette proposition devait etre combattue par les philosophes de l'école positive » - c'est-à-dire les disciples de Saint-Simon - pour qui « la liberté est un moyen du bonheur, et non pas le bonheur lui-même 10 ». Ce n'est ici que l'esquisse de la distinction entre liberté formelle et liberté réelle. Quelques années plus tard, il s'exprimera avec plus de précision. Prêchant la religion saint-simonienne, il répond à ceux qui accusent le groupe à qui il appartient d'être ennemi de la liberté. « Qu'ils apprennent, s•'écrie-t-il, que, loin de briser l'idole de notre jeunesse, nous l'avons entourée d'hommages plus dignes d'elle ; que nous n'avons pas déserté son culte, mais que nous l'avons purifié ; que nous n'avons pas renversé son autel, mais que nous l'avons transporté du domaine solitaire de la personnalité dans les champs vastes et animés de l'association ; que si nous avons renoncé à la liberté farouche, débile isolée que la _haineet _leso;1pçonaccompagnen:, c'est 'pour suivre la hberte féconde et puissante dont la paix et l'amour forment le cortège ! la liberté qui s'allie à la direction paternelle des supé9. Henri Saint-Simon : Du système industriel, Paris 1821, pp. xn à xvr, en note. 10. Laurent : Résumé de l'hi . ,oire <le la philosophie Paris 1826, pp. 435-36. L'auteur, à partir de 1848 signe~ • Laurent (de l'Ardèche) •• et serar,lus 1nrd l't\dlte\lr dea ŒuPrea de Saint-Simon et d'Enfanl n,

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