Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

296 Que la domination des riches ne vaille, pour le peuple, pas mieux que celle du roi et des nobles dans le régime précédent, d'autres le rediront dans les années qui suivent. « On rétablit l'aristocratie des riches, qui est plus terrible que le sceptre des rois », écrit Jacques Roux 2 • « Que le despotisme ait une tête, ou qu'il en ait sept cents, c'est toujours le despo- · tisme ( ...). Nous étions beaucoup mieux sous un roi », dira Babeuf 3 • Et chacun insiste sur le point fondamental : les libertés formelles sont sans valeur si elles n'apportent pas au peuple un supplément de bien-être. « La liberté, dit Jacques Roux, n'est qu'un vain fantôme quand une classe d'hommes peut affamer l'autre impunément 4 • » Et Fouché, dans un arrêté qui fit du bruit : « La richesse et la pauvreté devront également disparaître du régime de l'égalité ( ...). Tous les citoyens ont un droit égal aux avantages de la société ( ...). Leurs jouissances doivent être en proportion de leurs travaux 5 • » « Où est le bien que nous a encore fait le nouveau régime ? », demande Babeuf 6 • « Ce n'est plus dans les esprits qu'il faut faire la révolution (...), c'est dans les choses (...). Eh ! qu'importe au peuple, qu'importe à tous les hommes un changement d'opinion, qui ne leur procurerait qu'un bonheur idéal ( ...). Ces béatitudes spirituelles ne conviennent qu'aux beaux esprits et aux hommes qui jouissent de tous les dons de la fortune 7 • » Ici Babeuf dénonce clairement le caractère abstrait de~ libertés formelles. Et c'est ce que fera à son tour Sylvain Maréchal dans le Manifeste des Egaux : « Il nous faut non pas seulement cette égalité transcrite dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons. Nous consentons à tout pour elle, à faire table rase pour nous en tenir à elle seule. Périssent, s'il le faut, tous les arts, pourvu qu'il nous reste l'égalité réelle ! » « ·Périssent, s'il le faut, tous les arts. » Entendons bien ces mots. Les arts, ici, ce ne sont pas seulement les beaux-arts, mais au moins autant les arts mécaniques, ceux qui. caractérisent les sociétés raffinées. En fait, le Mani2. Article du 6 aodt 1793, cité par Aulard : Histoire politique de la révolution française, p. 453, note 3. 3. Le Tribun du peuple, n° 34, 6 nov. 1795, cité par Dommanget : Pages choisies de Babeuf, Paris 1935, p. 234. 4.. . Dans le • Manifeste des enragés • (25 Juin 1793), . cité par Dommanget dans Jacques Roux, le curé rouge, Paris 1948, p. 83. 5. Arrêté pris à Lyon le 14 novembre 1793; citê par Madelin : Fouché, tome I, p. 132. 6. Loc. cit. 7. Le Tribun du Peuple, n ° 35; du 30 novembre 1795, p. 96, Biblioteca Girio Bianco DÉBATS ET RECHERCHES /este des Egaux songe moins à apporter aux pauvres · un bien-être nouveau qu'à faire prévaloir une idéologie inspirée du mirage spartiate. Puisque Rousseau pensait qu'on ne peut introduire la démocratie et l'égalité dans cette grande nation corrompue qu'était la France de son temps, il faut rompre avec la .corruption, renoncer aux blandices de la civilisation, revenir à la simplicité, à la frugalité des premières sociétés. L'opposition des libertés formelles et des biens réels est ici dépassée. Ce dépassement était-il seulement un fruit de .l'idéologie ? Non sans doute. Le bon sens indiquait qu'on pouvait bien supprimer les riches, et arrêter du même coup l'activité· de tous les artisans qui travaillaient pour eux, mais on ne pouvait guère apporter aux pauvres qu'une distribution un peu meilleure des produits alimentaires. La base de l'économie étant l'agriculture, la justice consistait dans une répartition égalitaire des produits récoltés, et c'est d'ailleurs ce que manifestait l'arrêté de Fouché dont on a parlé et qui, proscrivant le pain de fleur de farine, ne laissait subsister qu' « une seule et bonne espèce de pain, le pain de l'égalité ». Cette disposition séduisit aussitôt la Commune de Paris, qui se hâta de l'adopter. LA CONVENTIONç,'avait été le temps du combat contre l'Europe, de l'effort de guerre, de, cette forme rudimentaire ·de rationnement qu'était le maximum. En temps de guerre, la répartition des denrées est un problème essentiel, et tout particulièrement en ce temps-là, puisque déjà l'un des plus graves problèmes de l'ancien régime avait été celui de la circulation des blés. Le Consulat, c'est le retour à la paix, et c'est aussi un grand essor de la production agricole et industrielle. En chimie, en mécanique, conçues en France ou importées de l'étranger, les inventions se succèdent. Un état d'esprit nouveau se manifeste. Le Directoire organise à Paris la première exposition de l'industrie française. Sous le Consulat, sous l'Empire, de nouvelles expositions viennent en manifester les progrès. Sous le Consulat, Germain Garnier ppblie une nouvelle traduction d'Adam SJI1ith, Jean-Baptiste Say son Traité d'économie politique, et. la théorie vient confirmer ce qu'enseigne la pratique : la richesse nationale peut s'accroître indéfiniment, et ainsi se trouve renversée l'opinion de ceux qui, « n'ayant jamais entrevu un meilleur état social, affirment qu'il ne peut exister >> et prennent

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