Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

292 III P u1s vient la révolution. Elle surprend tout le monde. Contrairement à la naissance · et à la croissance du radicalisme, la disparition de celui-ci du langage politique reste longtemps incomprise, si même elle est signalée. En réalité, elle est moins brusque, moins complète que ne le suggèrent les Souvenirs de Tocqueville 6 • Pendant quelques semaines, les mots « radical », « radicalisme » apparaissent encore. On a l'impression d'un écho attardé, souvent d'un titre fièrement revendiqué par les membres de l'ancienne opposition républicaine, les « républicains de la veille », et qui les distingue des ralliés tardifs, les « républicains du lendemain ». La véritable importance de ces quelques références éparses se trouve dans la lumière qu'elles jettent sur l'idée que recouvre le terme de « radical » chez ceux qui l'employaient à la veille même de son éclipse dans le vocabulaire politique français. A ce titre, la profession de foi d'un candidat à l'Assemblée constituante, C.-Hippolyte Castille, est fort intéressante, quoiqu'un peu ambi- . guë 7 • Le mot « radical » y est employé qans son sens étymologique de « fondamental, extrême », tandis que « radicalisme » semble désigner le plus pur républicanisme, celui qui se réclame des Montagnards et non des Girondins. Castille donne même l'impression de vouloir jouer sur le double sens des mots. Un extrait d'une autre profession de foi électorale, celle du candidat E. Laurens-Rabier, de Seine-et-Oise, reflète mieux encore l'usage . en vigueur : Mes opinions -ont toujours été radicales dans la plus pure et la meilleure acception du mot. Je ne serai démenti par personne. Je veux donc la république, telle que tout citoyen honnête, juste et intelligent peut la vouloir; et je la veux ardemment et avec fermeté, c'est-à-dire avec la passion du bien et du beau, et le parti pris . de ne rien concéder à quiconque tenterait témérairement de l'entraver dans sa marche régulière et glorieuse 8 • · C'est ce sens qu'adoptent les références tar~ dives. L'esquisse biographique d'un certain Cary, membre de l'Assemblée constituante (Pasde-Calais), le montre clairement : Ce très estimable citoyen était dans le département du Pas-de-Calais le représentant des opinions radicales 6. Ou bien La Politique radicale de F. Buisson qui, à son tour, accepte les conclusions d'une enquête de Georges Renard sur les clubs et les journaux politiques sous le Gouvernement provisoire. · 7. Cf. Les Murailles révolutionnaires df 1848, Paris, s.d., II, p. 130. 8. Ibid., 1, p. 404. Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES sous lesquelles se cachaient les sentiments républicains depuis que les lois de septembre empêchaient de les · · exprimer ·ou de les appeler par leur nom 9 • On peut ainsi noter un certain nombre de rétérences attardées au radicalisme. Mais cellesci ne finiront pas moins par disparaître et, quoi qu'en disent les historiens du mouvement, ses chefs eux-mêmes ne se donnèrent plus le titre de radicaux jusqu'à la fin du Second Em- ·. pire. L'équipe _du National devient « républicaine » (presque tout le monde, en fait, est désormais républicain) ou « modérée » ()plus tard, le journal se déclarera « socialiste »... ) ; les gens de la Réforme, eux, sont simplement des « républicains », et . surtout des « démocrates », avant de devenir, entre autres choses, « montagnards· ». Une proclamation électorale publiée à peine deux ou trois semaines après la révolution révèle cette transition: en tant qu'ayant fait partie de la « gauche républicaine ou radicale », à la fin de la monarchie, un ·groupe de citoyens de Bellême (Orne) se donnè déjà du « Comité démocratique » 10 • En juin 1848, dans l'obscur catalogue biographique, déjà cité, des membres de l'Assemblée constituante, les références de cet ordre concernent toujours le passé. Mais dans celui qui a trait aux députés à l'Assemblée législative de 1849, plus trace de radicalisme 11 • A partir de la seconde moitié de 1848 et pendant vingt ans, l'éclipse sera pratiquement totale 12 • IV E ç,,NCORE UNE FOIS, on peut s'étonner que si peu d'analyses du phénomène aient été · proposées. La Politique radicale, de Ferdinand Buisson, un classique sur le sujet, offre trois suggestions assez peu fondées : Le mot [radical] n'avait-il pas suffisamment pénétré les masses populaires ? Devait-il quelque défaveur à son origine exotique? Ou plutôt fut-il vite éclipsé par la terminologie socialiste plus claire, plus expressive, plus impressionnante 18 ? L'idée même que la dénomination de « radical », en faveur depuis près de deux générations, ait été abandonnée comme insuffisamment populaire, doit être rejetée d'emblée, surtout si l'on considère que l'emploi d'autres éti9. Louis Giraudeau : Biographie des représentants du peuple, Pmis 1848, pp. 75-76. Cf. aussi La Confession d'un républicain de la veille, par Louis Berger, Paris 1849, p. 19. 10. Les Murailles révolutionnaires de 1848, Il, p. 341. 11. Biographie des 750 représentants d l'Assemblée . législative élus le 13 mai 1849, Paris 1849. 12. Jacques Kayser a découvert qu'une feuille intitulée le Radical paraissait à Agen dans l'été de 1848. Auparavant, elle avait pour titre le Républicain. 13. La Politique radicale, p. 19.

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