G. C. ALROY l'opposition dynastique et, hors de la Chambre, les socialistes. Le nombre des députés radicaux semble grossir à mesure que les opinions politiques des Français s'orientent davantage vers la gauche. Après la mort de Garnier-Pagès en 1841, Ledru-Rollin devient le chef du parti. Le sens du terme évolue dans la mesure où se fait sentir l'esprit démocratique du nouveau dirigeant. En particulier, le ralliement de celui-ci à l'idée de justice sociale remet en vigueur l'ancienne conception réactionnaire qui faisait du radicalisme l'équivalent de l'anarchie. On retrouve en Ledru-Rollin le fantôme de la Terreur. Le parti radical devient ainsi plus populaire, mais aussi plus hétérogène. Autour du National, s'assemblent les radicaux première manière, les Armand Marrast, François Arago, Alexandre-Thomas Marie; autour de la Réforme, fondée par Ledru-Rollin, les ·nouveaux radicaux, les Etienne Arago, Ferdinand Flocon, Victor Schœlcher. Tandis que le National est ouvert à des partisans de la monarchie, tels Thiers et Odilon Barrot, la Réforme est hospitalière aux points de vue socialistes de Félix Pyat et de Louis Blanc. L'équipe de la Réforme paraît donc plus avancée, celle du National plus modérée 3 • Cependant, à la Chambre, les radicaux forment un front uni. Qu'ont en commun tous ces hommes? Quelle est la conception du radicalisme qui leur semble la plus naturelle durant les dernières années de la monarchie de Juillet ? Ce qui les unissait en tant que radicaux allait être mis à l'épreuve des événements, mais nous savons qu'il était possible de comprendre le radicalisme de différentes manières. Les termes « radical » et « républicain » sont-ils aussi étroitement synonymes à la veille de la révolution de Février qu'en 1834 ? On serait tenté de répondre affirmativement puisque les écrits du temps utilisent les deux mots, ensemble ou alternativement, et que le parti radical représente effectivement l'opposition républicaine. Cependant, le terme de « radicalisme » a un contenu plus précis que celui de « républicanisme », lequel manque de substance. Les contemporains connaissent seulement la république de la grande Révolution, souvenir brumeux tout au plus. En outre, à la veille de Février, il semble que le républicanisme de certains radicaux va3. Dana une brochure aatlrl~e intitulée Annuaire ch la Chambre tü, député, (1845), d un certain Fortunatu1, Marle eat 1implement • radical •• tandis que Ledru-RoWn ett • trèl radical . • Biblioteca Gino Bianco 291 cille. Au nom de qui Hippolyte Carnot parlet-il quand, en 1847, dans Les Radicaux et la Charte, il suggère un rapprochement avec la monarchie, pourvu que celle-ci se démocratise? Pourtant, l'union entre radicalisme et républicanisme est ancienne ; a-t-elle vraiment failli à prendre racine dans l'esprit des hommes ? Une autre hypothèse serait que _le radicalisme, avant la révolution, s'est étroitement identifié à une attitude d'opposition ; peut-être les radicaux n'étaient-ils unis que par l'appétit du pouvoir, ou bien par un penchant pour l'opposition, quel que soit le gouvernement ? Dans le langage de l'époque, le parti radical est un symbole d'opposition. Ces appellations évoquaient-elles encore l'épouvantail de l'anarchie sociale, les images terrifiantes jadis brandies par les conservateurs? A coup sûr, les radicaux eux-mêmes ne sont pas insensibles à la tradition. En relevant ce terme d'opprobre, ils font, « d'un outrage, un drapeau », selon les paroles historiques de Ledru-Rollin à Dijon. En bref, peut-être cherchent-ils, en gardant cette étiquette, à provoquer les aristocrates, les évêques, les réactionnaires. Il va sans dire que le spectre rouge est plus volontiers associé au communisme et au socialisme, mais parfois la ligne de démarcation entre radicaux et « partageux » est floue 4 • Un Arago n'introduit-il pas à la Chambre des sentences d'un esprit purement prolétarien, tandis que Ledru-Rollin accepte publiquement Louis Blanc? Et même certains membres de l'équipe du National utilisent des formules suffisamment audacieuses pour donner à penser que le radicalisme est rouge, sinon totalement, du moins en partie. Bien entendu, les vrais socialistes ne sauraient s'y tromper. Les choses sont encore compliquées du fait que le premier venu peut passer pour « radical » : il suffit pour cela de réclamer « des réformes radicales » - et ce qui était radical en 1837 ne l'était probablement plus en 1847 - ou de demander l'exécution « radicale » d'un programme quelconque 5 • Il n'en reste pas moins que ces réformes, ces mesures avec lesquelles on associe le radicalisme, tendent vers la gauche, la démocratie, la forme républicaine. 4. Le Dictionnaire politique (1842) indique que le radicalisme t'oppose aux droits de propriété issus d'anciens privilèges. Cité par Ferdinand Buisson in La Politique radicale, Parts 1908, p. 19, note. 5. Même en philosophie, otl Lamennais et Leroux sont tenus pour radicaux par Jules Simon : • Etat de la philosophie en France : les radicaux, le clergé, les éclectiques•• tn Revue du Deux Mondu, 1 • fév. 1843.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==