Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

P. GOSZTONY des années, offensait les yeux des patriotes hongrois. En quelques minutes, l'emblème de Kossuth avait pris sa place... La foule, qui comprenait des civils non armés aussi bien que des combattants de la liberté, se mit à· bombarder Maleter de questions auxquelles il répondit sans détour, même sur les points délicats. Ses réponses persuadèrent vite la foule qu'elle n'avait pas affaire à un ennemi. Lorsqu'on demanda au colonel ce qu'il pensait de l'intervention des f-orces soviétiques, ses traits se durcirent et sa réponse, d'une sincérité évidente, ne laissa aucun doute quant à l'identité de ses sentiments avec ceux des insurgés : les troupes étrangères n'avaient aucun droit de se trouver sur le sol hongrois et encore moins de s'ingérer dans des affaires qu'il appartenait aux Hongrois de régler. La discussion mena à une singulière conclusion : il n'y avait pratiquement aucune différence entre les idées du colonel et celles des insurgés. Tout au plus différaient-elles quant à la forme, mais non quant aux principes essentiels. ' Un homme d'un certain âge qui avait l'air d'un ouvrier demanda carrément à Maleter : « Dites-nous, camarade colonel, qu'est-ce que vous voulez donc? » Surpris pendant une fraction de seconde, Maleter répondit alors d'un ton ferme : « Ce que je veux, ce que nous voulons tous, je l'espère, c'est une Hongrie libre, indépendante et socialiste. Mais pour y parvenir, il" nous faut l'appui de tous les patriotes. » La réponse de Maleter fut accueillie avec enthousiasme. Chacun voulait lui serrer la main et l'étreindre. Tout en essayant de calmer l'ardeur de ·Ia foule, Maleter semblait réconforté par ces démonstrations : les insurgés n'étaient certes pas des « contre-révolutionnaires fascistes », mais de courageux patriotes mus par un intérêt sincère pour leur pays. * ,,. ,,. L 'HOMME acclamé par la foule avait été jusqu'alors un inconnu pour elle. Aujourd'hui même, il n'est pas facile de retracer toutes les étapes de sa carrière. Pal Maleter était né en 1917 à Eperjes, ville située dans la partie de la Haute-Hongrie qui fut cédée à la Tchécoslovaquie à la suite de la première guerre mondiale. Son. père, professeur de droit, était un démocrate imbu des traditions de 1848 ; il inculqua ses idées à son fils unique et fit naître en lui un profond sentiment de loyauté envers la patrie hongroise. Bien que le jeune Pal ait rêvé depuis l'enfance d'embrasser la carrière militaire, il se refusait à servir dans l'armée tchécoslovaque ; il décida donc de faire sa médecine et entra en 1935 à l'université de Prague. Trois ans plus tard, en 1938, le partage de la Tchécoslovaquie eut pour résultat le retour de sa région natale à la Hongrie. Le jeune Maleter put alors réaliser son rêve d'adolescent : il abandonna la médecine et entra à l'Ecole militaire Ludovica de Budapest. Il en sortit diplômé et premier de sa promotion, et reçut en décembre 1942 son brevet de lieutenant dans l'armée hongroise. Biblioteca Gino Bia co 285 La Hongrie - gouvernée par l'amiral Horthy - était alors l'alliée de l'Allemagne et Maleter fut finalement envoyé sur le front de l'Est au printemps de 1944. Fait prisonnier quelques mois plus tard dans le sud de l'Ukraine, il fut interné dans un camp soviétique. Il y reçut bientôt la visite de Zoltan Vas, communiste hongrois exilé, alors colonel de l'Armée rouge. Vas persuada Maleter d'aller à Kiev suivre les cours de l'Ecole d'idéologie antifaciste de l'Armée rouge (An tif a), destinée à endoctriner les prisonniers pour en faire des partisans luttant pour libérer leur pays de l'occupation allemande. L'endoctrinement eut manifestement une influence profonde sur les opinions de Maleter, car il accepta de servir. Il se distingua en tant que commandant d'un détachement engagé contre les Allemands dans le nord de la Transylvanie et fut décoré par le maréchal Malinovski. Après la libération, Maleter pris part à la . réorganisation de l'armée hongroise et devint chef de la garde personnelle du premier président de la nouvelle République de Hongrie, Zoltan Tildy. Il s'affilia au parti communiste et, lorsque celui-ci eut pris en main tous les pouvoirs en 1949, il se vit attribuer un poste au ministère de la Défense, dirigé par Mihaly Farkas, disciple et homme de confiance de Matyas Rakosi. Maleter, toutefois, découvrit bientôt que Rakosi et Farkas le considéraient comme politiquement « peu sûr ». Il resta colonel alors que d'autres officiers de sa génération, formés à l'école soviétique, devenaient généraux, et il se vit assigner des tâches bureaucratiques secondaires telles que la rédaction de règlements militaires. Pendant cette période, il perdit de plus en plus -ses illusions sur la politique stalinienne de Rakosi. Au cours du premier mandat gouvernemental d'Imre Nagy (1953-55), les affaires personnelles de Maleter prirent un tour un peu plus favorable. Le major-général Istvan Bata, qui avait remplacé Parkas comme ministre de la Défense, chargea Maleter de réorganiser le service technique auxiliaire de l'armée. La chute du gouvernement Nagy en 1955 fut toutefois le signal de la renaissance d'une politique stalinienne qui se maintint jusqu'en 1956, en dépit du mécontentement croissant du peuple. On ne sait si Maleter prit une part quelconque à l'activité politique de cette époque, ni quels sentiments lui inspiraient les revendications de plus en plus pressantes présentées par les étudiants, les écrivains et autres intellectuels pour l'accroissement des libertés démo-

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