Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

• 284 l'insécurité qui régnait dans les rues. En chemin, ils furent frappés de voir des bandes armées d'étudiants, d'ouvriers et de simples civils, certains portant le drapeau tricolore hongrois dont la faucille et le marteau (ajoutés sur l'ordre de Rakosi) avaient été arrachés ; des tanks soviétiques patrouillaient dans la ville. Le groupe arriva cependant sans encombre au ministère de la Défense. _Il -y régnait une ambiance de confusion, de tension et d'anxiété. Maleter èt ses compagnons purent constater que les « conseillers » soviétiques semblaient eux-mêmes friser la panique. Maleter alla prendre son poste au bureau des opérations. A mesure que passaient les heures, des rapports arrivaient ; la situation s'aggravait rapidement à Budapest et l'insurrection gagnait la province. Le pays tout entier semblait être en proie à la fièvre révolutionnaire. Dans la nuit du 24 au 25 octobre, le colonel Maleter fut avisé par téléphone de faits nouveaux et alarmants survenus à la caserne Kilian. A l'encontre de l'o,;dre donné par le capitaine Csiba, certains officiers politiques avaient organisé un petit détachement armé qui effectuait des sorties pour rabattre et désarmer les insurgés embusqués dans le passage Corvin, contigu à la caserne. Une dizaine d'hommes avaient été faits prisonniers et écroués dans la caserne avant que l'on tire sur les auteurs du raid et qu'un des officiers soit blessé. Les insurgés avaient jusqu'alors regardé la garnison de Kilian comn1e « sympathisante », mais à présent le bruit courait que les troupes de l'A.V.H. avaient pris position dans la caserne et tenaient des insurgés prisonniers. En conséquence, la caserne avait été soumise par les insurgés à de vives attaques dans la matinée du 25. Le capitaine Csiba fit part de la situation à Maleter - alors au ministère de la Défense - et demanda qu'on lui porte· rapidement assistance. · DANS L'INTERVALLEle,.· service de permanence de Maleter ayant pris fin, celui-ci fut autorisé à se rendre à Kilian avec quelques chars de combat pour examiner la situation et porter secours à la garnison. Le détachement de renfort, comprenant cinq engins blindés du 33e régiment de chars, se dirigea à vive allure vers la caserne où il arriva vers onze heures le matin du 25. Voyant que les chars arboraient le drapeau hongrois, les insurgés du passage.Corvin n'ouvrirent pas le feu: Une fois à l'intérieur, Maleter s'entretint brièvement avec le capitaine Csiba et ordonna Biblioteca Gino Blanco LE CONTRAT SOCIAL à la garnison de cesser le feu. Apprenant que quelques insurgés étaient retenus prisonniers, il les fit amener à l'infirmerie de la caserne où il les interrogea. L'aut€ur du présent article, qui était alors en garnison à la caserne Kilian. comme officier des services généraux de l'armée, consigna les faits suivants dans son journal personnel :. Le regard de Maleter tomba sur l'un des prisonniers, jeune homme au visage intelligent et ouvert. Il lui demanda son nom et sa profession, comment il s'était procuré des armes et quelles raisons l'avaient conduit à prendre part au soulèvement. Le jeune homme répondit avec courage et sans paraître aucunement intimidé. Il parla du niveau de vie pitoyable, des libertés qui n'existaient que sur le papier et des aspirations i1ationales du peuple, lesquelles avaient été entièrement frustrées et avaient perdu tout leur sens au cours des dernières années. Il parla aussi de la liste des seize revendications que les étudiants avaient distribuée dans les rues lors des manifestations du 23 octobre. Ne pouvant se rappeler l'un des points, il fouilla dans sa poche et en tira sa carte de membre du parti communiste avec laauelle se trouvait - paradoxalement - une copie dactylographiée des seize revendications. · Il y eut un moment de silence; puis Maleter se· leva et fit sortir tout le monde de l'infirmerie. Du corridor où nous nous trouvions, nous l'entendîmes téléphoner. Il nous rappela peu après et, s'adressant . . , au Jeune msurge : « Ecoutez-moi bien. Je vous rends la liberté, ainsi qu'à vos-compagnons. Allez rejoindre les insurgés. Dites-leur que je propose un cessez-le-feu.Nous sommes tous Hongrois. Je ne tire pas, et je ne tirerai pas sur vous ; mais cela veut dire que vous ne devez pas tirer non plus. Vous me comprenez ? » . « Parfaitement », répondit le jeune homme d'une voix ferme. « Ni nous ni vous », répéta Maleter, qui tendit alors la main à son interlocuteur. Cette poignée de main écbangée entre un colonel de l' Armée populaire hongroise et l'un des insurgés - qualifiés de « bandits contre-révolutionnaires » par la radio gouvernementale - fut chaleureusement applaudie. A la suite de l'accord de trêve, tout combat avait cessé ce jour-là vers trois heures au voisinage de la caserne. Les insurgés du passage ·Corvin sortirent de leurs positions et une foule joyeuse s'assembla à l'extérieur des murs. L'apparition du colonel Maleter à l'entrée, pour entendre le rapport d'une patrouille qui avait fait une sortie sous le drapeau parlementaire, suscita un enthousiasme spontané. L'auteur a décrit la scène dans son journal : · Un jeune homme réussit à se frayer un chemin à travers la foule et s'approcha du colonel. Il portait un emblènte de Kossuth [en souvenir du héros de la révolution de 1848] qu'il avait probablement fabriqué lui-même. Il demanda au colonel la permission de le substituer à l'étoile roug~ soviétique surmontant le portail d'entrée de la caserne. Maleter y consentit en souriant et quelques-uns de ses soldats commenç~rent d'emblée à démolir l'étoil~ de plâtre qui, depuis

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