Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

282 Don Manuel promit de m'aider à sortir de ce dilemme. Ayant discuté de la chose avec quelques amis intimes, il ferait savoir dans le milieu intéressé que le parti socialiste se convertirait en parti communiste avec le consentement de Don Venustiano, et qu'en pratique il poursuivrait l'ancienne politique quoique, à l'occasion, ses déclarations publiques pourraient être avivées par des feux d'artifice verbaux. Je reçus l'assurance qu'il n'y aurait pas d'opposition ouverte à ce que le parti socialiste change de nom et s'affilie à la nouvelle Internationale. La conférence extraordinaire du parti socialiste se réunit ; j'étais moi-même au fauteuil de président. Cédant à des pressions venues de toutes parts, j'avais accepté, à mon corps défendant, d'affronter les feux de la rampe pour la première fois depuis mes deux ans et demi de séjour au Mexique. Il ne suffisait pas de garder le contrôle sur les enragés de la gauche sans les prendre à rebrousse-poil. Plus important encore était de rassurer le gouvernement et les nombreux « .. compagnons de route » du socialisme révolutionnaire, de leur faire comprendre que les .flamboyantes résolutions de la conférence ne signifiaient pas en fait une rupture avec le passé. Le premier point de l'ordre du jour était l'examen du manifeste publié par le premier congrès mondial de l'Internationale commun_iste. Il rappelait aux travailleurs du monde le coup de clairon du Manifeste primitif publié par Marx et Engels. Aucun parti ne pouvait refuser de souscrire au nouveau manifeste tout en continuant de se proclamer un parti marxiste voué à la cause de la révolution sociale. Avec une conviction sincère, je soutins qu'avec son programme révolutionnaire, le parti socialiste mexicain ne pouvait qu'approuver le « nouveau manifeste communiste » et qu'une résolution tendant à changer le nom du parti équivaudrait à. l'approuver. Les deux. résolutions furent adoptées par acclamation; néanmoins, il n'y avait eu qu'un changement de nom. Le parti communiste restait fidèle au programme démocratique i'évolutionnaire du défunt parti socialiste. · Ainsi, l'opposition que l'on craignait de la part des « opportunistes et réformistes petitsbourgeois » était désarmée. Par accord tacite, Calles fut éloigné de la capitale sous prétexte d'une mission ministérielle urgente. Dans l'atmosphère délirante d'enthousiasme prolétarien, l'absence de « respectabilité » passa inaperçue. Un message du secrétariat de l'Internationale Biblioteca Gino B~anco .. LE CONTRAT SOCIAL communiste marqua le sommet de la conférence. Le projet en avait été rédigé par Borodine eri consultation avec moi. Il définissait la politique communiste de soutien des peuples opprimés et dépendants dans leur lutte antiimpérialiste. La politique fut élaborée dans les thèses sur les questions nationales et coloniales adoptées, un an plus tard, par le IIe Congrès de l'Internationale communiste. Ayant déclaré s'affilier à l'Internationale communiste, la conférence- inaugurale du P.C. mexicain résolut naturellement d'envoyer une délégation ·au IIe Congrès mondial qui devait se réunir à Moscou. La composition de la délégation ne fut pas annoncée publiquement. Personne, à l'époque, ne pouvait se rendre en Russie légalement. Mais avec l'approbation des membres dirigeants de l'exécutif du parti, Borodine avait insisté pour que je la préside. En conséquence, par un accord préalable, mon argument suivant lequel il m'é_tait impossible de continuer à assurer les fonctions de secrétaire général du parti fut accepté à titre provisoire. Un secrétaire général intérimaire" fut élu, étant tacitement convenu que je conserverais le poste de facto jusqu'à mon départ, ·et qu'en attendant je formerais mon successeur et le mettrais au courant. Pendant plusieurs jours après la conférence, Borodine resta assis devant sa machine à écrire des heures durant, toutes portes closes. Je m'enquis avec impatience de la nature de son mystérieux travail littéraire. La réponse fut qu'il était en train d'écrire l'histoire que je .venais moi-même de faire. Le jour où son rapport. partit pour Moscou, il m'invita cérémonieusement à boire un verre dans la soirée. Mais il était d'une humeur beaucoup trop sérieuse pour l'occasion. La raison de cette apparente inconséquence fut connue lorsque, de but en blanc, il déclara qu'il devait bientôt · rentrer. ·en Europe et que je devais le suivre. C'était la dernière instruction de Moscou, reçue des semaines avant la conférence du parti. Pourquoi m'avait-il mystifié penqant si longtemps ? De toute -façon, je n'irais pas, pour les raisons · déjà exposées. Il éçlata de rire : « Les bolchéviks ne discutent pas, ils se plient à la discipline. » Retrouvant immédiatement son sérieux, il ajouta : « N'oubliez pas votre propre pays. Moscou srerasur le chemin. » Une vision toute nouvelle passa devant mes yeux. Dans ma vie, un autre chapitre venait de s'ouvrir. M. N. RoY. (Traduit de l'~nglais)

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