M.N. ROY chiffon rouge sur le taureau. La guerre terminée en Europe, l'impérialisme américain interviendrait militairement au Mexique ; il suffisait de trouver un prétexte. Pour ces raisons, la possibilité d'un patronage semi-officiel pour le parti communiste, tel que celui dont jouissait le parti socialiste, devait être écarté. De plus, je ne voulais pas que le parti socialiste éclate à l'occasion de sa conversion en parti communiste. Sur toutes les questions pratiques, le programme du parti socialiste n'était pas moins révolutionnaire que les communistes l'auraient été étant donné la situation du pays. En conséquence, avec de la patience, du tact et en agissant en coulisse, une scission du parti socialiste pouvait être évitée. Dans ce cas, le premier parti communiste hors de Russie serait, dès sa naissance, un élément efficace dans la vie politique <lu Mexique. Cautionné par le parti, en tant que continuation de la politique du parti socialiste consistant à mobiliser les peuples du Nouveau Monde hispanophone pour défendre la souveraineté nationale et la justice sociale, et soutenu matériellement, à défaut d'un patronage avoué, par un gouvernement mexicain démocratique, le bureau de l'Internationale communiste pour l'Amérique latine pouvait constituer un outil puissant pour favoriser la révolution prolétarienne mondiale. Borodine fut confondu et ne chercha pas à dissimuler son admiration lorsque je plaidai ma cause. Nous en discutâmes pendant des jours. Il brillait dans la conversation et était très habile dans les débats. J'avais deviné ce qu'il avait en tête, mais je fus contrarié par sa réserve superflue. Pourquoi tournait-il autour du pot au lieu de me dire comment Moscou avait réagi à son rapport? Fort probablement, il avait reçu pour instructions de me demander d'y aller. Je prétendais qu'il valait mieux que je reste au Mexique, cela dans l'intention de le forcer à jouer cartes sur table. Ce malicieux stratagème eut un plein succès ; mais, en même temps, j'étais moi-même impressionné par la force de mes arguments. En conséquence, Borodine se trouva amené à en dire plus qu'il n'aurait voulu, afin de surmonter mon peu d'empressement à vouloir l'accompagner à Moscou. Il dut me tenter par la perspective d'un travail plus passionnant en Russie. Mais il voulait aussi que le programme de travail immédiat au Mexique soit réalisé avant notre départ, avant que je me mette en quête d'aventures plus alléchantes et qu'il puisse rapporter que l'échec de sa mission primitive avait Biblioteca Gino Bianco 281 été compensé par des succès politiques imprévus. Ayant ainsi conclu un accord tacite sur nos futurs mouvements, nous entreprîmes de fonder le premier parti communiste hors de Russie. Cela en soi serait un beau fleuron pour n'importe quel émissaire bolchéviste dans un pays étranger. Avant de mettre le plan en route, je consultai Don Manuel et m'assurai, par la bouche du ministre des Affaires étrangères, qu'un parti communiste serait toléré à condition qu'il s'abstienne d'activités provocatrices pouvant brouiller les relations diplomatiques avec le puissant voisin du Nord. De plus, il ne me cacha pas que son gouvernement aimerait que le futur bureau de l'Internationale fonctionne sous le manteau, par l'intermédiaire de la Ligue latinoaméricaine, afin de favoriser les desseins . de cette dernière. Cet avis assez clair n'avait pu être donné qu'avec le consentement du Président. Cela signifiait que, si le nouveau régime russe ordonnait à ses partisans au Mexique de se conduire raisonnablement et d'agir discrète-· ment, une collaboration entre les deux pays pouvait s'établir préalablement à l'ouverture formelle de relations diplomatiques. Je consultai Don Manuel au sujet de l'attitude d'hommes comme Calles, qui étaient entrés au parti socialiste avec des mobiles opportunistes, et qui pouvaient ne pas aller plus loin, de peur de nuire à leurs ambitions personnelles. J'étais plus préoccupé de l'attitude d'autres hommes dont on ne pouvait mettre en doute la sincérité des convictions et dont l'adhésion au parti n'avait pas de mobiles égoïstes. Les membres prolétariens du parti, c'està-dire les durs à cuire anarcho-syndicalistes, estimaient qu'on en était arrivé à la croisée des chemins ; ils réclamaient qu'on prenne une décision. Avec les têtes plus rassies, moins nombreuses il est vrai, je pensais différemment. Si le parti communiste devait ne pas être un groupe de propagande politiquement inefficace, il ne fallait pas l'affaiblir dès sa naissance en le privant de l'opposition ouverte de défenseurs honnêtes de la justice sociale, lesquels pouvaient n'être pas préparés à approuver un programme de guerre civile. Don Manuel était le chef des nombreux sympathisants et membres du parti socialiste que je ne voulais pas indisposer. On ne pouvait pas faire fi de leur répugnance à entrer dans une organisation vouée à un programme d'insurrection et de guerre civile, sous prétexte que c'était là pusillanimité contre-révolutionnaire ou petitebourgeoise. ,
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